Le troisième lien ne finit pas de donner lieu à des scènes surréalistes et franchement gênantes pour la CAQ.

Très bonne affaire d’avoir abandonné ce projet insensé et irresponsable financièrement d’un troisième lien autoroutier Québec-Lévis. Mais encore faut-il étudier sérieusement le nouveau projet du tunnel réservé uniquement au transport collectif.

À ce chapitre, c’est très mal parti.

Le gouvernement Legault ne veut pas dire l’estimation du coût du projet. Il en a une. Elle est écrite noire sur blanc dans l’une des études dévoilées en avril, mais a été caviardée dans les documents rendus publics.

Le premier ministre François Legault a dit la semaine dernière ne pas savoir le coût du nouveau projet. Il aurait lu une version résumée du rapport qui ne contenait pas ce chiffre. Pourtant, François Legault, comptable de formation, est un homme de chiffres. C’est pourquoi personne ne croit cette explication invraisemblable.

De toute façon, la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, connaît le chiffre. Mais elle a refusé de rendre publique cette information – pourtant cruciale – « afin de ne pas influencer les éventuels processus d’appels d’offres », selon son cabinet1.

Cette explication de la ministre Guilbault est incohérente. Au Québec, peu importe sa couleur, le gouvernement a toujours annoncé l’estimation du coût des projets majeurs. C’est un principe de base en matière de bonne gouvernance.

En avril 2022, quand le gouvernement Legault a annoncé son projet de troisième lien à deux tubes (le projet abandonné il y a deux semaines), il avait donné une mise à jour du coût : 6,5 milliards. (C’était largement sous-estimé. La ministre Guilbault a confirmé que le coût aurait plutôt été de 10 milliards pour deux tubes.)

On ne peut pas avoir un débat public sain et rigoureux sur un projet majeur de transport – possiblement le plus cher de l’histoire du Québec outre le métro de Montréal et le REM – si on ne sait pas combien il coûtera !

On n’est pas seul à rejeter l’argument des appels d’offres de la ministre Guilbault pour justifier le silence du gouvernement. « Ça n’a pas de sens », dit Maude Brunet, professeure de gestion à HEC Montréal et spécialiste de la gestion de projets publics d’infrastructures. « On doit avoir une idée de l’ensemble des coûts et des bénéfices », dit Mme Brunet.

On a notre petite idée pourquoi le gouvernement Legault cache le coût de la dernière mouture de son troisième lien : parce que le coût n’aurait aucun bon sens pour l’achalandage prévu qui, lui, a été dévoilé par Québec et qui est somme toute modeste, avec environ 13 600 passages par jour. 2

Le troisième lien n’est pas le seul dossier où la CAQ a joué à cache-cache avec les coûts la semaine dernière.

Le gouvernement Legault a aussi remis en question les propres chiffres du ministère de la Santé sur le coût des interventions chirurgicales au privé… sans donner les bons chiffres.

Grâce à une demande d’accès à l’information de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) auprès du ministère de la Santé, on a appris que les interventions chirurgicales ont été généralement plus chères dans le privé que dans le public dans le cadre d’un projet-pilote tenu entre 2018 et 2020 (en comptant uniquement les coûts directs, parce qu’on ne peut pas comparer les coûts indirects).

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a répondu que ces chiffres n’étaient plus bons, qu’il en avait de plus récents (pour les opérations au privé durant la pandémie), mais qu’il ne les a pas rendus publics entre autres parce qu’il y aura bientôt des appels d’offres pour le privé. Cette explication ne tient pas la route, surtout que Québec peut donner la moyenne des cliniques privées.

Vendredi, le cabinet du ministre Dubé, qui aime habituellement les chiffres et la transparence, a clarifié la situation et nous a assurés que le coût des opérations au privé et au public durant la pandémie sera rendu public d’ici quelques semaines. Côté transparence, c’est la bonne chose à faire.

Cacher les coûts de projets en donnant une excuse bidon – comme le CAQ le fait avec le troisième lien – n’est pas une bonne façon de gouverner.

Ça ne règle rien et ça ne fait qu’épaissir le brouillard.

1. Lisez l’article « Troisième lien réservé au transport collectif : le coût du projet caviardé par Québec »

2. Le chiffre d’achalandage divulgué par Québec : 3400 passages aux heures de pointe le matin. Comme l’heure de pointe du matin représente généralement 25 % l’achalandage de la journée, ça donnerait 13 600 passages par jour. Ce dernier chiffre est notre estimation.

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