Il y a des milliers d’anges gardiens à travers le Québec et ils sont loin d’être confinés au réseau de la santé. Sans toutes ces bonnes âmes pour combler les trous de notre filet social, il n’est pas exagéré de dire que la province vivrait une grave crise sociale.

Alors que La Presse braque ses projecteurs sur le « Québec en mouvement », l’occasion est belle de lever notre chapeau aux artisans du milieu communautaire, des femmes en majorité, qui font des petits miracles sur le terrain.

Parmi les nombreux visages de l’entraide au Québec, il y a celui d’Agnès Mbome qui a fondé bénévolement Racine croisée, une banque alimentaire inspirée de son propre parcours d’immigrante.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Agnès Mbome

Originaire du Cameroun, elle a constaté que les aliments offerts aux immigrants ne correspondaient pas toujours à leur culture. Au lieu de rester les bras croisés, en véritable entrepreneure du bien commun, elle s’est dit : « s’il y a de l’eau, il faut trouver des planches et faire un pont pour traverser la rivière. »

Avec l’organisme Racine croisée, elle s’est mise à offrir des paniers comportant des aliments comme le riz, le gombo ou le manioc, prisés en Afrique, en Amérique du Sud ou en Asie.

Dans son local de l’avenue du Parc, à Montréal, elle remet jusqu’à 400 paniers par semaine. Et pas qu’à des immigrants. Il y a des familles québécoises pure laine, des étudiants au Barreau… Car avec l’inflation, la pauvreté frappe de plus en plus large.

À travers le Québec, 671 000 personnes reçoivent de l’aide alimentaire chaque mois (dont le tiers sont des enfants), un nombre qui a grimpé de 33 % depuis 2019.

Or, l’inflation fait aussi augmenter le coût des aliments, du transport et des loyers, mettant sous pression le budget déjà étiré des organismes communautaires. Et on n’a pas encore parlé du défi du recrutement…

Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, les organismes communautaires ont du mal à attirer et à retenir le personnel avec un taux horaire moyen de 24,44 $ l’heure, un quart en dessous du taux horaire des Québécois travaillant à temps plein (33,22 $). C’est d’autant plus difficile que les régimes de retraite et les programmes d’assurance sont rares et que la sécurité d’emploi est bien hypothétique dans un milieu qui doit toujours se battre pour obtenir du financement.

Au bout du compte, plusieurs organismes communautaires ne parviennent pas à répondre à la demande.

Il est extrêmement préoccupant d’apprendre que le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale a refusé 3736 demandes, en 2021-2022, par manque de places, comme le rapportait notre collègue Hugo Pilon-Larose, cette semaine.

D’autres organismes sont contraints de réduire leurs services, comme Racine croisée qui n’ouvre plus ses portes qu’une journée par semaine, au lieu de deux, faute de victuailles.

À force d’étirer la sauce, nos anges sont à court de miracles.

Pourtant, la Coalition avenir Québec (CAQ) a augmenté le financement de façon substantielle, ce qui doit être salué. En considérant les investissements des derniers budgets ainsi que l’indexation, le financement total du Programme de soutien aux organismes communautaires en 2023-2024 s’élève à plus de 1 milliard de dollars, soit 54 % de plus qu’en 2019-2020.

Voilà un grand pas dans la bonne direction, même s’il reste encore du chemin à parcourir. Heureusement, le Plan d’action gouvernemental en matière d’action communautaire 2022-2027, déposé l’an dernier par le ministre Jean Boulet, pointe dans le bon sens.

Ainsi, le gouvernement s’est engagé à fournir davantage de financement destiné à la mission générale des organismes communautaires, plutôt qu’à des projets particuliers, ce qui facilitera leur planification à plus long terme.

La CAQ s’engage aussi à créer une porte d’entrée unique pour simplifier la vie des organismes qui en ont déjà plein les bras sur le terrain. Ils n’ont pas de temps à perdre à négocier avec la douzaine de ministères impliqués dans la lutte à la pauvreté, chacun avec leurs programmes, leurs formulaires et leurs petites cases à remplir.

Mettons tout en œuvre pour prendre bien soin de nos anges gardiens à bout de souffle, comme Agnès Mbome quand elle regarde la file de plusieurs centaines de personnes qui s’étire jusqu’à l’intersection de Mont-Royal pour entrer chez Racine croisée.

Assurons-nous que sa fierté d’aider les autres ne soit pas éclipsée par le stress de ne pas suffire à la demande.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion
En savoir plus
  • 60 000
    Nombre de travailleurs œuvrant dans 4000 organismes communautaires au Québec
    Source : Réseau québécois de l’action communautaire autonome
    425 000
    Nombre de bénévoles et militants impliqués dans le communautaire
    Source : Réseau québécois de l’action communautaire autonome
  • 1,4 %
    Proportion des emplois au Québec qui se trouve dans le milieu communautaire
    Source : Réseau québécois de l’action communautaire autonome