L’ancienne ministre de la Culture Liza Frulla a raison de s’impatienter quand elle passe devant l’ancien Institut des Sourdes-Muettes de Montréal. C’est frustrant de constater que l’ensemble de huit bâtiments est vacant depuis 2015. Aujourd’hui, ce qu’on voit surtout, c’est un stationnement sans âme qui relie les rues Roy et Cherrier. Ça fait dur !

On comprend que le cri du cœur de l’actuelle directrice de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ) la semaine dernière n’était pas complètement désintéressé : l’institution qu’elle dirige à deux coins de rue est en mode expansion et convoite des espaces dans le grand immeuble de la rue Saint-Denis. C’est de bonne guerre.

La sortie de Mme Frulla a eu le mérite de braquer les projecteurs sur ce projet à définir en plein cœur du Plateau. Mais il est faux de dire que rien ne bouge dans ce dossier. Il n’avance peut-être pas aussi rapidement qu’on le souhaite, mais il avance.

La Société québécoise des infrastructures (SQI) a finalement confié à une firme d’architectes le soin de développer une vision. Cette dernière ne part pas de zéro puisque la Ville de Montréal avait mené une série de consultations dans le quartier afin de sonder les besoins. Elle a accouché de deux scénarios qui ne devraient pas être ignorés.

La réalité, toutefois, c’est que le plus vieil immeuble de cet ensemble date de 1864, et que certains édifices sont en piteux état, nécessitant des travaux de fond en comble. Traduisez : facture de plusieurs centaines de millions de dollars. On voit mal comment ce projet pourrait être développé sans la participation du privé.

La bonne nouvelle, c’est que la SQI et la Ville – qui collaborent aussi dans la rénovation de l’ancien hôpital de la Miséricorde – ont l’air de bien s’entendre. C’est de bon augure.

Le cri du cœur de Liza Frulla a eu un autre effet, celui de relancer le débat sur la façon dont on traite notre patrimoine bâti.

Pas de doute, il y a encore des efforts à faire.

Le fiasco de l’ancienne bibliothèque Saint-Sulpice est frais à la mémoire. Le gouvernement Couillard avait tenté de vendre l’édifice patrimonial au privé en 2015. Huit ans plus tard, ce magnifique immeuble en plein cœur du Quartier latin est toujours vide, même si on projette d’y installer une Maison de la chanson et de la musique.

Comme le dit si bien Dinu Bumbaru d’Héritage Montréal, en matière de patrimoine, « on est à l’aise avec le fait que rien ne se passe… »

La bonne nouvelle, c’est qu’on a, à Québec, un premier ministre qui se dit fou de patrimoine (religieux, entre autres…). Il faut espérer qu’il transmette sa passion aux membres de son gouvernement, en particulier aux ministres de la Culture (responsable du patrimoine) et de l’Habitation (responsable de l’architecture), afin qu’on améliore notre bilan en matière de préservation, de restauration et de requalification.

La Ville de Montréal doit aussi améliorer son approche. Il serait pertinent de réfléchir à la création d’une structure consacrée exclusivement au patrimoine, comme la SIMPA (créée en 1981 puis engloutie dans la Société de développement de Montréal en 1996), mais à l’échelle métropolitaine cette fois. Le nombre d’immeubles patrimoniaux qui auront besoin d’amour et d’attention au cours des prochaines années le justifie.

Il y a aussi beaucoup de sensibilisation à faire auprès des promoteurs immobiliers. On ne développe pas un projet dans un immeuble patrimonial comme on construit une tour de condos. C’est complexe, ça demande du doigté et un certain sens du devoir à l’endroit de la communauté. Oui, on le fait pour l’argent, mais pas que.

Il faut accepter qu’on ne travaille pas au même tempo et qu’on n’aura pas les mêmes rendements. Le retour sur l’investissement est ailleurs : dans la fierté, par exemple. Pourquoi pas des mesures fiscales pour stimuler l’intérêt pour ces projets plus casse-gueule ?

Il faut également former davantage d’experts en patrimoine, des architectes entre autres, capables de travailler à partir de l’« existant » plutôt que devant une page blanche. Enfin, il faut absolument revaloriser les métiers.

Justement, la semaine dernière avait lieu l’évènement annuel du Conseil des métiers d’art du Québec consacré à l’architecture et au patrimoine. On a entre autres discuté de la mise en valeur des artisanes et artisans qui travaillent en restauration patrimoniale. Cette expertise est essentielle si on veut être en mesure de relever les défis qui nous attendent.

Au Québec, l’âgisme ne vise pas seulement les individus, il se manifeste aussi dans le domaine immobilier. On aime le neuf. Mais il faudrait aussi apprendre à mieux aimer et valoriser le vieux. Nos immeubles âgés sont comme nos aînés, ils ont beaucoup à nous apprendre. Liza Frulla a bien fait de nous brasser la cage.

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