Pour savoir si une transaction tournera à votre avantage, il suffit parfois de regarder qui applaudit.

La plus importante entreprise de télécoms au pays, Rogers, vient de se battre pendant deux ans pour faire l’acquisition de 86 % des actifs de la quatrième télécom, Shaw. Le gouvernement fédéral a approuvé la transaction vendredi.

Pendant que les actionnaires de Rogers sablent le champagne, le gouvernement Trudeau tente de nous faire croire que cette mégatransaction de 20 milliards améliorera la concurrence et fera baisser les prix en Ontario et dans l’Ouest canadien.

Bien essayé, mais on ne tombera pas dans le panneau. Sans être catastrophique, cette transaction n’est pas non plus une bonne nouvelle pour les consommateurs. Ce n’est pas un hasard si le Bureau de la concurrence s’y opposait.

Au Canada, les télécoms sont un oligopole où il y a peu de concurrence. Nos forfaits de sans-fil sont ainsi parmi les plus élevés des pays du G7.

Au risque de déplaire aux actionnaires de Rogers et Shaw, on va le (re)dire sans détour : le gouvernement Trudeau n’aurait pas dû approuver cette transaction, qui va réduire la concurrence à court terme dans le sans-fil (Rogers et Vidéotron se séparent en pratique les clients du sans-fil de Shaw⁠1). Même si Ottawa a fait des efforts louables pour en diminuer les conséquences néfastes.

Certes, le ministre fédéral de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a refusé la première version de la transaction où Rogers achetait Shaw en entier (ç’aurait été catastrophique !). Dans la version finale, Vidéotron acquiert une partie (2,85 milliards) des actifs du sans-fil de Shaw et fera son entrée comme quatrième joueur dans l’Ouest canadien et en Ontario. Il a promis d’offrir des forfaits 20 % moins chers, comme au Québec. Ce n’est pas pour rien que Telus, numéro un en Colombie-Britannique, s’est opposé à cette transaction.

Certes, Ottawa a amené Rogers et Vidéotron à garantir ses engagements par contrat avec des pénalités, jusqu’à 200 millions pour Vidéotron et un milliard pour Rogers.

Certes, le fédéral gèle toute possibilité d’une nouvelle transaction en télécoms et réévaluera la réglementation pour favoriser la concurrence.

Mais au final, les chiffres ne mentent pas : au départ, Québecor sera moins menaçant que l’était Shaw avant l’annonce de la transaction en mars 2021. À court terme, c’est un recul pour la concurrence.

L’espoir, c’est que Québecor devienne le quatrième acteur tant rêvé au Canada anglais depuis une décennie. Comme il l’est depuis 2011 au Québec. Avec comme résultat que les prix des forfaits sans fil y sont 20 % moins chers qu’ailleurs au pays.

Québecor, une entreprise de télécom efficace, redoutable et expérimentée, en est capable. On lui souhaite bon succès dans cette expansion, autant pour les consommateurs du Canada anglais que pour Québec inc. C’est toujours une bonne nouvelle quand une entreprise québécoise s’illustre à l’extérieur du Québec.

Pour les consommateurs québécois, la transaction Rogers-Shaw ne change à peu près rien (Shaw n’était pas présent dans le sans-fil au Québec).

Tant mieux si le marché du sans-fil dans l’Ouest canadien et en Ontario s’améliore et que les prix commencent à y ressembler à ceux du Québec.

Mais ça ne veut pas dire que tout est parfait au Québec, où les forfaits sont généralement plus chers qu’en Europe. Il y a donc matière à amélioration ici aussi. « Les prix pourraient être plus bas. Il faut sortir [les entreprises] de leur zone de confort », dit Pierre Larouche, professeur en droit de la concurrence à l’Université de Montréal.

Comment faire pour y arriver ? Le ministre Champagne y réfléchira au cours des prochains mois.

Une solution évidente à première vue : inciter davantage de consommateurs à migrer vers des marques à plus faible coût comme Fizz (Vidéotron), Virgin (Bell) ou Public Mobile (Telus). Ce n’est pas une solution parfaite. Ces marques sont détenues par les grandes entreprises qui n’ont pas autant d’incitatifs à gruger dans les marges de profit que les véritables joueurs indépendants.

Les marques à faible coût utilisent le même réseau que les marques principales. Donc en théorie, elles offrent un produit de même qualité (sauf pour un forfait 3G). En pratique, ce n’est pas assez connu des consommateurs. Et le CRTC devrait s’en mêler pour s’assurer que le produit est de même qualité.

L’autre solution, c’est d’ajouter de la concurrence. Par exemple avec les « opérateurs de réseau mobile virtuel » (MVNO), qui se branchent (en payant) sur les réseaux des grandes compagnies de télécoms et offrent des forfaits moins chers. Aux États-Unis, les forfaits de Mint Mobile commencent à 15 $ par mois pour la 4G et la 5G.

Le CRTC a fait un compromis l’an dernier : les entreprises détenant un réseau sans fil quelque part au Canada pourront agir comme MVNO partout au pays sur les réseaux de ses concurrents. Cogeco songerait ainsi à se lancer dans le sans-fil au Québec et en Ontario.

Par contre, les MVNO purs et durs (comme Mint Mobile) ne peuvent pas opérer au Canada.

Le ministre Champagne dit que « tout est sur la table » pour avoir davantage de concurrence et des prix plus bas.

On verra bientôt si ce sont de belles paroles ou si Ottawa est sérieux cette fois-ci.

1 Lisez l’éditorial : « Rogers-Shaw : notre oligopole est déjà assez gros » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion