Non, mais à quoi pensent nos universités ?

On a appris récemment que des dizaines d’universités canadiennes travaillent, sur une base régulière, main dans la main avec une école militaire chinoise.

Des chiffres publiés par le Globe and Mail démontrent que des chercheurs au sein de 50 universités canadiennes (dont McGill et Concordia) ont mené des études conjointes avec des scientifiques en lien avec l’industrie militaire chinoise.

Ça dure depuis de nombreuses années. Et le phénomène s’est poursuivi récemment, même si à peu près tout le monde au pays semble maintenant avoir compris qu’on ne peut plus donner le bon Dieu sans confession au régime chinois.

Au cours des cinq dernières années, des chercheurs de dix grandes universités canadiennes ont publié plus de 240 études co-signées avec ces scientifiques chinois, selon une compilation de la firme de renseignement stratégique Strider.

Et on ne parle pas ici de recherches en sociologie, en philosophie ou en biologie marine.

Non.

Les sujets cités vont de la cryptographie quantique à la photonique. Et les chercheurs chinois impliqués sont notamment spécialisés en systèmes de missiles ou de surveillance automatique.

Ça signifie que nos universités soutiennent parfois des projets de recherche qui peuvent permettre à la Chine de développer ses capacités militaires et d’améliorer les systèmes qu’elle utilise sur son territoire pour la répression et la surveillance.

Certains établissements, avons-nous constaté, ont des politiques strictes ou déconseillent carrément toute initiative de recherche avec des intérêts chinois. C’est le cas d’ÉTS Montréal ou de l’Université Laval.

Plusieurs autres sont visiblement moins rigoureux – et encore trop naïfs.

C’est ce que démontre l’ambiguïté des réponses offertes tant par McGill que Concordia à notre journaliste Vincent Larouche, qui s’est penché sur le problème.

Une porte-parole de l’Université McGill a entre autres expliqué que les établissements membres du Regroupement des universités de recherche du Canada ont mené des efforts qui ont permis la création d’un cadre de sécurité nationale pour la recherche.

Mais elle a aussi tenu à préciser que les chercheurs de McGill « cherchent à s’associer aux meilleurs et aux plus brillants d’entre eux » à travers le monde.

On comprend l’idée. Il n’est d’ailleurs pas question d’interdire toute recherche avec des scientifiques qui travaillent sous des dictatures.

Mais une ligne rouge doit être tracée lorsqu’il s’agit de recherches qui peuvent menacer notre sécurité nationale.

Le ministre de l’Innovation, François-Philippe Champagne, est du même avis. « C’est inacceptable », a-t-il déclaré jeudi dernier à Ottawa au sujet de ces révélations. Il a promis qu’il allait serrer la vis encore davantage.

Le ministre a entre autres l’intention de renforcer les lignes directrices adoptées par son gouvernement en 2021 pour qu’elles s’appliquent à la recherche financée par tous les organismes subventionnaires fédéraux, sans exception. Nous soutenons cette démarche.

Il reste que son pouvoir n’est pas illimité. Ottawa ne subventionne pas l’ensemble de la recherche au pays.

Et entre en jeu, bien sûr, la sacro-sainte liberté universitaire.

« J’adorerais pouvoir fournir la liste des 165 universités et laboratoires militaires chinois à toutes les universités canadiennes, accompagnée d’instructions pour dire à leurs professeurs et leurs chercheurs de ne pas collaborer avec eux », nous a dit Margaret McCuaig-Johnston, experte de la Chine qui œuvre pour l’Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique de l’Université d’Ottawa.

Le problème, c’est que ça ne passerait pas. Les professeurs vont « se rebeller » si on touche à leur « liberté académique », explique celle qui a déjà été vice-présidente du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada.

« C’est pourquoi il est important pour les professeurs d’utiliser leur propre cadre de référence éthique parallèlement aux lignes directrices du gouvernement », a-t-elle indiqué.

Nos gouvernements ne peuvent pas unilatéralement dessiner le carré où les universités et leurs chercheurs vont devoir danser. C’est normal.

Mais avant de décider avec qui ils vont danser, les chercheurs devraient se servir, de façon systématique, de leur boussole morale. Et les universités devraient les y encourager fortement.

Que tous les chercheurs et universités ne le fassent pas encore, ça, ce n’est pas normal.

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