Le chemin Roxham a encore une fois fait les manchettes. Certains prônent la fermeture de ce point de passage et d’autres, une fermeture complète de la frontière, matériellement ou légalement. Mais c’est une fausse solution qui ne répond pas au vrai problème. 

Qu'est-ce que le chemin Roxham et qui l’emprunte ? 

Dans plusieurs pays à travers le monde, des personnes comme nous sont obligées de s’exiler pour se mettre en sécurité elles-mêmes et leurs familles. Nous avons tous compris pourquoi les Ukrainiens devaient fuir leur pays. Nous les avons accueillis à bras ouverts, en leur offrant la possibilité d’obtenir un visa et donc de venir de façon sécuritaire, à bord d’un avion commercial, plutôt que de voyager dangereusement et d’être à la merci de réseaux de passeurs malveillants. Mais le Canada n’offre pas de tels visas aux autres populations vulnérables, et cela les oblige à emprunter des chemins périlleux pour se mettre à l’abri. Bien des gens doivent traverser des jungles et des routes où les extorsions, les agressions et les viols sont la norme, et les morts par la faim ou l’épuisement, nombreuses. Ceux qui y survivent nous arrivent par le chemin Roxham, point de passage improvisé entre New York et le Québec, où ils pourront déposer une demande d’asile de façon plus digne et sécuritaire. 

Depuis la signature de l’entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis en 2004, les personnes qui cherchent notre protection sont obligées de traverser la frontière hors d’un poste douanier pour pouvoir demander la protection des autorités canadiennes ou américaines.

Les agents douaniers doivent alors patrouiller tout son long pour identifier les personnes et les diriger vers les services d’immigration. 

Depuis l’été 2017, dans un contexte d’accroissement des migrations forcées à travers le monde, le chemin Roxham est devenu un point de passage privilégié. Face au nombre croissant de demandes, le gouvernement fédéral a structuré l’accueil à cet endroit afin d’optimiser le processus d’identification et d’enregistrement des personnes. Le plus tôt c’est fait, le plus rapidement le tribunal administratif compétent peut examiner leur demande, qui sera refusée si elle est infondée. 

L’effort du Québec 

L’enregistrement des demandes d’asile à Roxham est donc une approche efficace et bénéfique pour les demandeurs d’asile, le gouvernement et les contribuables canadiens. Le Québec reçoit 65 % des demandes d’asile canadiennes, mais 99 % des demandeurs d’asile interceptés par la GRC entre les points d’entrée officiels, par exemple à Roxham. Même si le gouvernement fédéral lui rembourse intégralement les coûts engendrés pour ses services sociaux, les organismes communautaires sont sollicités de façon importante et ont lancé cette semaine un cri d’alarme, peinant à répondre aux demandes d’aide des nouveaux arrivants. Le coût financier a beau être pris en charge par tous les Canadiens, il y a effectivement un effort humain fourni de façon disproportionnée par le Québec et qu’il y a lieu de mieux répartir. 

Fausses solutions 

Certains crient au chaos et à la catastrophe. Rassurez-vous, il n’y a pas de « tsunami » ou d’« explosion ». Il y a seulement beaucoup de personnes qui ont besoin de notre aide. Mais ces alarmistes sous-entendent que les personnes qui demandent l’asile au Canada seraient trop nombreuses, un fardeau, ou une menace pour notre identité.

On en entend proposer de « fermer Roxham » ; mais si on ferme ce chemin, cela poussera les gens à passer par des abords encore moins organisés de la frontière, ce qui ne fera qu’augmenter le coût du système et le nombre de morts, comme l’a démontré le décès tragique de Fritznel Richard en décembre 2022 sur cette route. 

D’autres proposent d’étendre l’entente aux points de passage irréguliers (voire à d’autres pays que les États-Unis), afin d’empêcher toute demande d’asile pour tous ceux étant passés par un « pays sûr ». Les Européens ont adopté ce système il y a longtemps, et il n’a pas découragé les migrations, seulement causé de nombreux noyés dans la Méditerranée. Le droit international et nos Chartes nous obligent de toute façon à entendre les demandes de ceux qui se rendent jusqu’à nous. Quant à « fermer toute la frontière », les coûts d’un mur ou d’un patrouillage intensif sur 8900 kilomètres seraient absurdes. 

Améliorer la loi et les processus 

La solution réaliste est d’abolir, ou au moins suspendre, l’entente sur les tiers pays sûrs. Les demandeurs d’asile pourraient ainsi se présenter aux postes frontaliers réguliers, comme cela est déjà le cas dans les aéroports. Cela aurait le mérite d’améliorer la sécurité et l’efficacité, d’assécher les réseaux de passeurs et de répartir spontanément les arrivées entre toutes les provinces. 

À défaut de courage politique pour suspendre l’entente, il faut au moins améliorer le processus d’arrivée. Plusieurs demandeurs d’asile se destinent à d’autres provinces comme l’Ontario ou la Colombie-Britannique, mais sont immobilisés au Québec pour attendre pendant un ou plusieurs mois leur permis de travail par la poste. On devrait plutôt leur envoyer électroniquement leur permis de travail, comme de nombreux pays le font déjà. 

Une chance pour le Québec 

Par ailleurs, loin de représenter une « invasion » ou une menace pour notre identité, les demandeurs d’asile ne demandent qu’à s’intégrer et à contribuer activement à notre société. Alors que nous souffrons d’une pénurie de main-d’œuvre, ils répondaient déjà présents au plus dur de la pandémie, et continuent de nous épauler partout où nous manquons de bras, même là où les conditions de travail sont difficiles. À condition que notre bureaucratie leur délivre les permis appropriés promptement, bien sûr. 

Et tandis que le Canada anglais est souvent beaucoup plus attractif et qu’ils pourraient s’y déplacer dès leurs premiers documents obtenus, nombreuses sont ces personnes qui choisissent le Québec et sa langue française pour démarrer une nouvelle vie.

Donnons-leur cette chance et cette sécurité : c’est ce qui est juste et humain, et nous ne risquons que de nous enrichir collectivement. 

Bref, les discours alarmistes n’ont jamais aidé à trouver des solutions sensées, mais incitent au repli sur soi et au rejet de l’autre. Nous avons tous une responsabilité dans nos discours et dans le choix de nos mots. Si on juge une société par la façon dont elle traite les plus vulnérables, il est grand temps de cesser de brandir de faux problèmes fondés sur nos peurs, et de réfléchir à de vraies solutions pour aider ces personnes qui font face à de vrais problèmes de sécurité.

*Alexandre Néron, propriétaire d’entreprise ; Alfredo Garcia, avocat ; Amélie Giurgiuca, coordonnatrice, Organisation d’éducation et d’information logement de Côte-des-Neiges ; Andréanne Lemaire, psychologue, CIUSSS de l’Estrie - CHUS, direction des services généraux, Clinique des réfugiés ; Andrew Leggett, étudiant, Collège Champlain, Saint-Lambert ; Angéla Potvin, avocate ; Annabel Busbridge, avocate et membre du C.A. AQAADI ; Anne-Cécile Raphael, avocate ; Anne St-Pierre, infirmière clinicienne et chargée de cours, Université de Sherbrooke, faculté de médecine et des sciences de la santé ; Annie Bélanger, avocate ; Association RadLaw, Université McGill ; Audrey Thibault, adjointe, Programme santé mentale, Médecins du Monde Canada ; Aviva Basman, avocate et présidente, Canadian Association of Refugee Lawyers, Association canadienne des Avocats et Avocates en droits des réfugiés ; Carine Boulianne infirmière clinicienne, assistante au supérieur immédiat, Guichet d’accès centralisé et Clinique des réfugiés, CIUSSS de l’Estrie CHUS ; Bruno Hidalgo, Intervenant en coparentalité, Pause Famille ; Catherine Pappas, directrice générale de la CDC de Côte-Des-Neiges ; Claude Chupenga, directeur général, Centre international de l’espoir ; Celeste Trianon, militante et étudiante en droit Université de Montréal ; Chantal Ianniciello, avocate et membre du C.A. de l’AQAADI ; Christian Tanguay, Adm.A., directeur général, Centre communautaire LGBTQ+ de Montréal ; Claire Launay, Présidente LQCNA ; Claude Chupenga, fondateur et directeur général, Centre International de l’Espoir (CIE) ; Coline Bellefleur, avocate; Danielle Arpin, avocate ; Danielle Kouhio Depri, citoyenne ; David Larrivée, conseiller en intégration, ALAC ; Dina Souleiman, directrice générale, Welcome Collective ; Elizabeth Sheremetov, intervenante (CANA) ; Eric Shragge, président du conseil d’administration, Centre des travailleurs et travailleuses immigrants ; Eva Gracia-Turgeon, coordonnatrice, Foyer du Monde ; Fabienne Côté, travailleuse sociale, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie, Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke ; Fatima Beydoun, étudiante en droit Université McGill ; Francois Crépeau, professeur titulaire, faculté de droit, Université McGill ; Garine Papazian-Zohrabian, professeure titulaire, département de psychopédagogie et d’andragogie, faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal ; Geneviève Bouchard, coordonnatrice générale Oasis des enfants de Rosemont ; Gilles Provencher, directeur général, Carrefour Solidarité Anjou ; Guy Nephtali, Avocat ; Gwendolyn Muir, avocate ; Ian van Haren, directeur général, Action réfugiés Montréal ; Isabelle Lessard, chargée de cours, interne en psychologie clinique adulte (Ph.D./RI) au Centre d’intervention psychologique de l’Université de Sherbrooke (CIPUS) et à la Clinique des réfugiés de Sherbrooke ; Ismael Boudissa, avocat ; Janet Cleveland PhD, chercheuse à l’Institut universitaire SHERPA ; Jasmine Lanthier-Brun, travailleuse sociale, Clinique des réfugiés ; Jean Francois Seguy, avocat ; Jenny Jeanes, coordonnatrice du programme détention, Action Réfugiés Montréal ; Jennifer-Lys Grenier, coordonnatrice, Clinique pour la justice migrante ; Jihane Chickhi, avocate; Jouman El Asmar, avocate ; Karine Barrette, avocate, chargée du projet Améliorer la pratique judiciaire pour accroître la sécurité des femmes victimes de violence conjugale, Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale ; Katherine Loudin, avocate ; Katia Bracamonte, Coordonnatrice Intervention Pause Famille ; Krishna Gagné, avocate et membre du C.A. AQAADI ; Laura Anson Perez, chargée de cours à la maîtrise en médiation interculturelle, interne en psychologie à la Cliniques de réfugiés, Sherbrooke ; Laurence Trempe, avocate et membre du C.A. AQAADI ; Leyda-Mellia Paulmier, avocate; Luciano G. Del Negro, avocat ; Nilufar Sadeghi, Avocate; Marie-Anne Arsenault-Tremblay, infirmière ; Clinique des réfugiés, CIUSSS de l’Estrie-CHUS ; Marie Claude Besré, travailleuse sociale, Programme OLO-SIPPE ; Marie France Chassé, avocate ; Marissa Doucet, travailleuse sociale, CLSC Saint Laurent ; Maude Lambert Dion, directrice adjointe BC de la garde en milieu familial  Au coeur de l’enfance ; Martine Valois, avocate et professeure, Université de Montréal ; Martin Savard, chargé de projet, Centre social d’aide aux immigrants ; Maryse Poisson, directrice des initiatives sociales, Welcome Collective ; Myriam Harbec, avocate ; Odette Desjardins, avocate en immigration ; Olga Houde, coordonnatrice, Clinique juridique Just Solutions ; Patil Tutunjian, avocate ; Paula Kline, directrice générale, Mission communautaire de Montréal & Camp Cosmos ; Perla Abou Jaoudé, avocate, membre du C.A. de l’AQAADI ; Rezki, directrice, Creca; Rose Ngo Ndjel, directrice, Afirique au Féminin ; Richard N. Goldman, avocat ; Rita Acosta, directrice, Contre le Viol ; Ryan Faulkner, étudiant en droit Université McGill ; Shi Tao Zhang, étudiante en droit Université McGill ; Sophie Sylvie Gagné, coordonnatrice, CDC Sollidarité Villeray ; Stephan Reichhold, directeur général, Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes ; Virginie Beaubien, avocate, membre du C.A. de l’AQAADI ; Walid Ayadi, avocat ; William-Jacomo Beauchemin, coordonnateur général, chercheur et médiateur, Exeko ; Yamilet Almeida, avocate; Yasmina Benihoud, avocate ; Yves Bellavance, coordonnateur, Coalition montréalaise des Tables de quartier

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