Je suis enseignant de formation et j’ai mal à ma profession.

J’ai mal à mon identité professionnelle.

J’ai mal à mon identité.

J’ai mal.

J’ai mal à mon père enseignant, à mes tantes enseignantes, à nos grands-parents enseignants.

J’ai mal à ma conjointe enseignante, à mes amis enseignants, à mes collègues enseignants.

J’ai mal à ma famille professionnelle.

Depuis jeudi dernier, le ministre de l’Éducation, en deux temps, trois mouvements, a mis à mal mes quelque 30 ans d’engagement dans l’enseignement.

Dans l’enseignement en général ; dans l’enseignement du français en particulier.

J’ai mal que l’on considère mon expertise chèrement acquise comme inutile pour embrasser ma profession.

J’ai mal qu’on insinue que consacrer sa vie et ses études à l’éducation ne vaut, somme toute, qu’une petite année de certificat accéléré.

Malgré plus de 20 ans passés sur les bancs d’universités du Québec comme étudiant au baccalauréat en enseignement secondaire, à la maîtrise en linguistique et en didactique des langues, au diplôme d’études supérieures spécialisées sur les difficultés de lecture et d’écriture et au doctorat en didactique du français, j’ai encore l’impression d’apprendre tous les jours dans ce domaine exigeant et confrontant qu’est l’éducation.

J’ai mal à ma profession.

J’ai mal à n’importe quelle profession qui ferait fi des avancées de la recherche dans son domaine.

Toute l’énergie et la passion que je consacre à ma profession d’enseignant, toujours la même profession depuis 1995 malgré mes chapeaux changeants (enseignant de français au secondaire, enseignant titulaire au primaire, chargé de cours, auxiliaire de recherche, consultant au ministère de l’Éducation, professeur, chercheur, vice-doyen à la formation et à la culture), ne sont pas vocations, mais bien le résultat de formations, tant initiale, pratique que continue de grande qualité.

Sans ces formations qui me constituent, jamais je n’aurais pu devenir l’enseignant que j’ai été et que je suis encore.

J’ai mal à ma profession, et j’accuse, Monsieur le Ministre, les gouvernements successifs de ne pas faire de l’éducation une véritable priorité.

J’accuse ces gouvernements de ne pas tout mettre en œuvre pour que les enseignantes et les enseignants puissent prendre soin pleinement de chacun des élèves qui leur sont confiés.

J’accuse ces gouvernements de laisser seuls et sans soutien les enseignantes et les enseignants qui vivent des agressions et de la violence régulièrement.

J’accuse ces gouvernements de ne pas leur permettre de réaliser un véritable travail en équipe interprofessionnelle pour relever ensemble les défis que l’éducation des enfants et des adolescents soulève.

J’accuse ces gouvernements de ne pas leur offrir du temps de qualité pour effectuer leur travail à des moments qui ne seront pas volés à leur famille et à leurs loisirs.

J’accuse ces gouvernements de créer des classes hétérogènes qui ne sont pas le reflet réel de la société, avec une répartition équilibrée d’enfants et d’adolescents aux forces et aux défis qui seraient variés et complémentaires.

J’accuse ces gouvernements de ne pas encourager le développement professionnel continu du corps enseignant.

J’accuse ces gouvernements de ne pas fournir aux enseignantes et aux enseignants tout le matériel et le mobilier nécessaires ainsi qu’un environnement sain et stimulant pour accomplir leur tâche quotidienne.

J’accuse ces gouvernements de ne pas fournir l’accès à toutes les ressources et à tous les outils à portée de main pour mettre en valeur tous les élèves de leur classe en fonction de leur potentiel.

J’accuse ces gouvernements de pelleter dans la cour des enseignantes et des enseignants des enjeux sociaux qui relèvent de la famille ou de la communauté.

J’accuse ces gouvernements de dévaloriser la profession enseignante en suggérant que monsieur et madame Tout-le-Monde peuvent faire le boulot étant donné leur expérience passée d’élèves.

J’accuse ces gouvernements de ne pas déployer les solutions pourtant connues et issues de nombreux rapports commandés par leurs propres ministères.

J’accuse enfin les 30 ministres de l’Éducation et vous, Monsieur le Ministre, de ne pas être à la hauteur des rêves et des ambitions de l’honorable Paul Gérin-Lajoie. En ne défendant pas l’éducation et ses principaux artisans que sont les enseignantes et les enseignants, ce sont tous les enfants et les adolescents du Québec que vous négligez.

Je lève mon chapeau à toutes mes sœurs enseignantes et à tous mes frères enseignants qui, au péril de leur santé physique et psychologique, gardent le cap sur la mission de l’école québécoise malgré les tempêtes.

* Martin Lépine est professeur, didactique du français, vice-doyen à la formation et à la culture, faculté d’éducation, Université de Sherbrooke

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