L’auteur réagit au reportage de Marie-Eve Morasse sur les résultats des élèves québécois à l'épreuve de français de 5e secondaire, publié le 23 janvier.

La pandémie a beau avoir le dos large, elle ne peut pas tout expliquer. Déjà, le 6 mars 2008, La Presse publiait un texte du journaliste Denis Lessard intitulé « Les résultats en dictée piquent du nez », où il affirmait que « si le taux de succès des élèves était basé sur la connaissance de l’orthographe, ce serait l’hécatombe dans les écoles secondaires du Québec ».

Et le 5 novembre 2009, Daphnée Dion-Viens, journaliste au Soleil, écrivait que selon la moitié des professeurs, « les élèves ne savent pas écrire ». Et puis le 6 décembre 2022, la direction de l’évaluation du ministère français de l’Éducation nationale a publié une étude révélant que dans une même dictée de 67 mots donnée par intervalles à des élèves de niveau primaire entre 1987 et 2021, le nombre de fautes était passé, en moyenne, de 10,7 à 19,4 fautes, soit presque le double. Dans leur rapport, les chercheurs crurent bon ajouter que « l’orthographe française est l’une des plus complexes au monde et nécessite un apprentissage long et fastidieux ».

Va-t-on finir par comprendre qu’on aura beau jeter le blâme sur tous les intervenants et toutes les circonstances qu’on voudra, la faute réside avant tout dans la nature même de ce qu’on veut faire apprendre aux élèves, alors que les conditions « longues et fastidieuses » pour ce faire n’existent tout simplement plus.

La maîtrise de notre orthographe (qui ne devrait pas être la composante la plus importante et problématique de l’apprentissage de l’écriture) pourrait raisonnablement s’acquérir dans les conditions actuelles, mais à condition qu’on lui fasse subir une sérieuse cure de minceur, comme l’ont fait avec succès de nombreuses autres langues, dont ces langues sœurs du français que sont l’italien, l’espagnol et le portugais.

Comme le disait si bien François de Closets dans son ouvrage Zéro fautes (Éditions Mille et une nuit, 2009), « la grande mutation de notre langue se déroule sous nos yeux dans l’incompréhension générale. Les nouvelles technologies, qui font de l’écriture le moyen privilégié du XXIe siècle, condamnent le statut traditionnel de notre orthographe dans notre culture ».

Ce qu’il faudrait, c’est donc une réforme en profondeur de l’orthographe, et non seulement une réformette comme celle de 1990, qui n’a d’ailleurs jamais été imposée et qui a fini par mêler tout le monde.

Mais la simple idée d’une telle réforme reçoit inévitablement une farouche opposition (d’où ces « rectifications » à la pièce). Un bel exemple de la sacralité de l’orthographe pour les francophones est le tollé qu’a soulevé la proposition d’écrire, dans « la nouvelle orthographe », « nénufar » au lieu de « nénuphar » afin de corriger une simple erreur étymologique. Or non seulement l’italien, l’espagnol et le portugais écrivent-ils « nenufar », ils écrivent aussi, sans se soucier de l’étymologie, « ortografia, filosofia, farmacia, ritmo (rythme) ». Cette priorité accordée à la « transparence » (la correspondance entre la graphie et la prononciation des mots) dans la refonte de leur orthographe a fait en sorte que les élèves y font beaucoup moins de fautes que les jeunes francophones, ce qui leur permet de passer à des choses plus signifiantes, plus productives, dans l’acquisition de l’écriture.

Il n’est absolument pas nécessaire, pour assurer la clarté de la communication, de savoir choisir, pour transcrire le seul son « o » en français, parmi les graphies « o, os, ot, ôt, op, oc, au, aux, eau, eaux, haut, ault, eault ». Et il en va de même de cette armée de suffixes grammaticaux, la plupart inexistants en langue parlée, et qui servent, par exemple, à faire ou ne pas faire l’accord du participe passé dans une phrase comme « les choses que j’ai cru(?) devoir apprendre me sont apparu(?) injustifié(?) ». Et si on ne fait pas ici ces accords, la clarté s’en ressent-elle ?

Ceux qui s’opposent à une simplification de l’orthographe évoquent souvent l’atteinte à sa beauté et à sa richesse, le nivellement par le bas, le sacrifice d’un excellent instrument de formation intellectuelle. Or il ne faut pas confondre l’outil et ce qu’on peut en faire. La notation musicale, cette « orthographe » de la musique, est un outil infiniment plus simple, plus transparent, plus convivial que l’orthographe française, et pourtant il peut servir à produire les plus grands chefs-d’œuvre. Il ne faut pas non plus confondre nivellement par le bas et démocratisation de l’éducation. Rendre tout le monde capable d’écrire le français sans cette logorrhée de fautes qu’on trouve dans les médias sociaux serait un grand nivellement par le haut.

Et pour ce qui est de la formation intellectuelle, c’est dans la conception, l’organisation et la transcription des idées en phrases bien construites au moyen d’un vocabulaire riche et précis qu’on la trouve, pas dans l’apprentissage fastidieux d’une orthographe bourrée de traquenards et de règles inutiles.

Paul Valéry, ce grand poète, disait : « Je ne parlerai pas de notre orthographe, malheureusement fixée en toute ignorance par les pédants du XVIIe siècle, et qui n’a laissé dès lors de désespérer l’étranger et vicier la prononciation d’une quantité de mots. »

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