C’est l’an dernier, à la veille du cinquième anniversaire de l’attentat contre la mosquée de Québec, que le gouvernement fédéral a annoncé qu’il allait créer un poste de représentant spécial chargé de la lutte contre l’islamophobie.

Alors que les incidents et crimes haineux – notamment à l’égard des musulmans – continuent d’être récurrents au pays, l’initiative est justifiée.

Le message que cherche à véhiculer Ottawa est le bon.

Mais la messagère choisie la semaine dernière, Amira Elghawaby, ne l’est pas. Elle devrait céder sa place au plus vite.

On lui reproche – avec raison – d’avoir écrit dans un texte publié en 2019 au sujet de la Loi sur la laïcité de l’État que « la majorité des Québécois semblent influencés non pas par la primauté du droit, mais par un sentiment antimusulman ».

Ce genre de déclarations au sujet du Québec et des Québécois, où se mélangent incompréhension (entre autres au sujet de notre rapport à la religion), préjugés et mépris, ne nous surprend même plus.

D’un bout à l’autre du Canada, elle est aussi tenace qu’archifausse, cette idée selon laquelle le Québec serait plus raciste ou qu’on y manifeste des comportements plus discriminatoires à l’égard des minorités que dans les autres provinces.

On a l’impression que le disque est rayé.

Mais ça ne veut pas dire qu’il faut le laisser tourner.

D’où la réaction, lundi, du ministre Jean-François Roberge. Au nom du gouvernement Legault, il réclame la démission d’Amira Elghawaby.

Même le ministre libéral du Patrimoine canadien et lieutenant du Québec, Pablo Rodriguez, s’était dit la semaine dernière « profondément insulté par ses propos ».

Il y a de quoi.

Non, la loi sur la laïcité n’est pas une preuve qu’il y a au Québec un « sentiment antimusulman » plus prononcé qu’ailleurs. On ne sait plus de quelle façon il faudrait l’exprimer pour qu’enfin ce soit compris !

Maintenant, toute la question est de savoir si Amira Elghawaby, elle, l’a compris.

Elle a tenté de rectifier le tir sur Twitter. « Je ne crois pas que les Québécois sont islamophobes ; mes commentaires passés faisaient référence à un sondage au sujet de la loi 21. Je travaillerai avec les partenaires de toutes les provinces et régions pour m’assurer que nous combattons directement le racisme », a-t-elle écrit.

Le problème, c’est que si elle ne parvient pas à rebâtir la confiance brisée avec Québec, elle ne dispose pas de l’autorité morale dont elle a besoin pour occuper ce nouveau poste. L’idée même de pouvoir « travailler » avec toutes les provinces demeure en ce sens une vue de l’esprit.

Il importe aussi de préciser qu’Amira Elghawaby a été associée pendant plusieurs années au Conseil national des musulmans canadiens. Cette organisation est loin de faire l’unanimité au sein de la communauté musulmane en raison de certaines prises de position idéologiques.

On sait par exemple que ce groupe a déjà exprimé une vision trop extensive du concept d’islamophobie, qui engloberait toute critique de l’islam politique.

On peut donc se questionner, également, sur le jugement et sur l’indépendance d’Amira Elghawaby.

Il lui faudrait être particulièrement habile pour bien gérer la transition entre son rôle de militante et celui de représentante spéciale chargé de la lutte contre l’islamophobie.

Or, à voir la façon dont elle gère la controverse actuelle, de toute évidence, elle est comme une ambassadrice qui manque de diplomatie. Sa nomination divise alors que ce nouveau poste se veut rassembleur. Elle doit construire des ponts, pas en couper.

Notons que le ministre Jean-François Roberge, vendredi dernier, avait publiquement dit être ouvert à une discussion avec elle. En entrevue téléphonique lundi, il nous a appris que sa demande était restée lettre morte.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre responsable de la Laïcité, Jean-François Roberge

Le message qu’elle a publié sur Twitter n’a pas changé l’impression initiale du ministre. « Le rôle qu’elle est appelée à jouer est incompatible avec des préjugés comme ça et des raccourcis comme ceux qu’elle a pris. »

Ultime test : le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a réclamé une rencontre urgente avec la représentante spéciale. Voyons voir s’il parviendra à être rassuré sur la suite des choses.

Mais jusqu’à preuve du contraire, Amira Elghawaby n’a pas les qualités requises pour le rôle – important – qu’on vient de lui confier.

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