Un piéton n’a jamais tué un automobiliste en le percutant. Le contraire se produit trop souvent. Pourtant, on continue de concevoir les villes et les rues en fonction des autos, pas des piétons.

Les Québécois pleurent la mort d’une fillette de 7 ans heurtée par un automobiliste alors qu’elle marchait vers l’école, mardi, dans l’arrondissement de Ville-Marie. En juillet dernier, c’était un enfant de 2 ans qui perdait la vie, percutée par un automobiliste à l’angle de l’avenue des Récollets et de la rue Fleury. Sa mère avait été gravement blessée.

Chaque fois, des politiciens, le trémolo dans la voix et la larme à l’œil, implorent les gens d’être prudents.

Mais qu’est-ce qu’on attend pour renverser le rapport de force entre les piétons et les automobilistes ?

Depuis 48 heures, on ne compte plus les gens qui disent que cet accident était prévisible. Le chantier du pont-tunnel a augmenté la circulation de transit dans le quartier Centre-Sud, aux abords du pont Jacques-Cartier. Les automobilistes, pressés et distraits, traversent les rues à toute vitesse parce que Waze ou Google Maps leur a suggéré d’emprunter ce raccourci. Vite, vite, vite. On est tous TELLEMENT pressés au volant de véhicules de plus en plus gros. Et quel est le réflexe des parents quand survient un accident ? Conduire leur enfant en auto, ajoutant ainsi des autos dans les rues…

Contrairement à ce que le premier ministre François Legault a déclaré mercredi, ce n’est pas vrai que les gens respectent la limite de vitesse dans les zones scolaires. En octobre dernier, la CAA dévoilait les résultats d’observations dans deux zones scolaires, à Montréal et à Québec. Ses conclusions donnaient froid dans le dos : la presque totalité des conducteurs (92 % et 96 %) avaient dépassé la limite de vitesse dans les zones observées.

Il suffit d’être un piéton pour constater que le phénomène s’observe un peu partout aux abords des écoles. Et que dire des arrêts aux intersections ? De plus en plus brefs. Les automobilistes donnent presque l’impression de faire une faveur aux piétons qui doivent souvent hâter le pas de peur de se faire rouler sur les pieds.

Il existe pourtant des solutions pour apaiser la circulation automobile : ajout de saillies, dos d’âne, sens uniques pour détourner la circulation…

C’est l’approche privilégiée par l’ancien maire de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, Luc Ferrandez. À l’époque, on l’a presque enduit de goudron et de plumes…

Le Centre d’écologie urbaine de Montréal, lui, supervise des projets-pilotes de rues-écoles. Ça consiste à fermer la rue d’une école entre 15 et 45 minutes, au début et à la fin des classes, une approche qui donne des résultats probants : dans Ahuntsic, par exemple, on a noté une diminution de 30 % des autos autour de l’école et 20 % de transfert modal (c’est-à-dire un passage de l’auto à la marche). Et une adhésion au projet de 95 %.

Il faut multiplier ces rues-écoles qui existent aussi dans certaines villes européennes et américaines.

On devrait également revoir la conception de nos rues. En Californie, le ministère des Transports adhère à la politique des Complete Streets. Chaque fois qu’il conçoit ou rénove une infrastructure routière, il doit le faire avec, en tête, la sécurité des piétons et des cyclistes.

À la fin des années 1990, la Suède a pour sa part imaginé l’approche Vision Zéro, adoptée depuis par la Ville de Montréal. Objectif de cette approche : zéro décès et zéro blessé grave sur les routes. Montréal aimerait l’atteindre d’ici 2040. On est encore loin du compte.

Même si on observe une tendance à la baisse du nombre de piétons ayant perdu la vie dans des accidents entre 2016 et 2021, le bilan partiel de la SAAQ pour 2022 n’est guère rassurant. En date de septembre, 39 piétons étaient morts dans un accident, une augmentation de 14,7 % comparativement à toute l’année 2021.

Il faut étendre l’approche Vision Zéro à l’ensemble du Québec et en faire une vraie priorité. Il faut mettre les automobilistes au pas.

En 2030, le quart de la population québécoise sera âgée de 65 ans et plus. Ça signifie davantage de piétons qui se déplaceront plus lentement dans les rues. Devront-ils renoncer au transport actif et rester à la maison de peur de se faire renverser ? Il est grand temps de changer notre vision de la mobilité qui repose beaucoup trop sur la fluidité de la circulation automobile – un défi impossible si le nombre de véhicules continue d’augmenter – et pas assez sur la sécurité des plus vulnérables.

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