Ça sent le roussi à l’épicerie. Mais il ne faut pas trop compter sur le Bureau de la concurrence pour flairer les problèmes.

C’est tout à fait désolant.

Le Canada est la contrée bénie des oligopoles, pas seulement dans l’alimentation, mais aussi dans le transport, les télécommunications, les services financiers, pour ne nommer que ces secteurs.

La moindre des choses serait d’avoir un chien de garde qui a assez de mordant pour leur faire contrepoids, au nom de tous les consommateurs qui en ont marre de payer trop cher.

Malheureusement, on est loin du compte, comme on le voit à l’épicerie, qui est devenue le triste symbole de l’augmentation fulgurante du coût de la vie depuis la pandémie.

La hausse annuelle du prix du panier d’épicerie de 11 %, un record depuis 40 ans, fait très mal aux ménages. Et 2023 ne leur donnera pas de répit, car les prix vont encore augmenter de 5 à 7 %, selon la 13e édition du Rapport annuel sur les prix alimentaires dévoilée lundi⁠1.

Alors que 23 % des Canadiens ne mangent pas à leur faim, les épiceries font des profits records.

Mais avant de crier à la « cupidité alimentaire » comme le chef du NPD, Jagmeet Singh, qui n’a pas peur de l’inflation verbale, mettons les choses au clair.

Que les épiciers voient leurs revenus et leurs profits augmenter, année après année, n’a rien de scandaleux. Le contraire serait inquiétant : cela mènerait à des fermetures dont la clientèle serait la première à souffrir.

Que les actions des épiciers soient en hausse d’environ 15 % cette année alors que la Bourse est en baisse de 3,5 % n’a rien de scandaleux non plus, puisqu’il s’agit d’un secteur défensif qui s’en tire toujours mieux en période de repli.

La vraie question est de savoir si les épiceries ont profité de la pandémie pour augmenter indûment leur marge bénéficiaire.

Et ici, ça passe croche pour Loblaw, dont la récente performance surpasse celle des dernières années, selon une étude du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie⁠2.

Passée au grill durant une enquête parlementaire cette semaine, l’entreprise s’est défendue de profiter de l’inflation pour augmenter ses prix de manière excessive.

Qui croire ?

Pour l’instant, le mystère reste entier. Bien malin qui peut dire si les prix en épicerie sont exagérés, de combien, et qui est à blâmer dans la chaîne d’approvisionnement.

Ce n’est pas l’enquête déclenchée en octobre par le Bureau de la concurrence qui nous en apprendra beaucoup plus, puisque le Bureau n’a pas le pouvoir d’exiger des renseignements aux entreprises, contrairement à la plupart de ses homologues du G7, ce qui est aberrant.

Cette grave lacune nuit à la qualité du diagnostic du Bureau de la concurrence, qui est mal outillé pour donner les meilleurs conseils au gouvernement.

En fait, le Bureau ressemble à un chien de garde édenté. Et un chien qui ne court pas vite.

Ses enquêtes prennent un temps fou à aboutir. Prenez le cartel du pain. Weston et Loblaw ont admis avoir participé à un stratagème de fixation des prix de 2001 à 2015. Cela a déclenché une enquête du Bureau de la concurrence visant cinq autres entreprises. Nous sommes en 2022 et personne n’a encore été réprimandé. Franchement !

Ces délais interminables alimentent le scepticisme des consommateurs, qui ont l’impression que le travail du Bureau de la concurrence ne mène nulle part. Rien pour les encourager à porter plainte.

Il faut que ça bouge. Le commissaire de la concurrence, Matthew Boswell, est le premier à le dire. Dans un récent discours, il avouait que l’état actuel des choses constituait « un échec systémique ».

Il déplore que les dispositions de la Loi sur la concurrence, inchangées depuis 1986, permettent un niveau élevé de concentration économique – voire de monopoles – qu’on ne voit pas dans des pays comparables.

Dans l’industrie alimentaire, on a avalé sans broncher l’achat de Provigo par Loblaw en 1998, celui de A&P par Metro en 2005, puis celui de Safeway par Sobeys en 2013. Aujourd’hui, les trois grandes chaînes occupent 60 % du marché. En ajoutant Costco et Walmart, 80 % du marché est accaparé par cinq grands joueurs qui font la vie dure aux petits indépendants.

Dans ce contexte, il y a beaucoup de travail à faire pour le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, qui a lancé des consultations visant une révision de la Loi sur la concurrence, en novembre.

Ce n’est pas trop tôt !

Ce qui se passe dans nos épiceries prouve qu’on doit resserrer les critères entourant les fusions qui entravent la concurrence et aussi mieux outiller le Bureau de la concurrence pour qu’il fasse un travail d’enquête rapide et efficace.

Ne ratons pas l’occasion de fouetter la concurrence avec une vraie réforme qui stimulera la productivité dont les entreprises canadiennes ont tant besoin, tout en limitant l’inflation qui fait tant souffrir les consommateurs.

1. Consultez la 13e édition du Rapport annuel sur les prix alimentaires (en anglais) 2. Consultez l’étude « Les profits en distribution alimentaire : un seuil d’acceptabilité moral ? » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion