Martinique, 30 degrés, soleil radieux. L’alizé souffle sur la plage bercée par le roulement des vagues. Un paradis tropical pour touristes en mal de repos ? Oui, mais pas quand ces vagues rapportent la sargasse, une algue qui dégage des gaz toxiques en se décomposant.

Odeur nauséabonde, problèmes respiratoires chez les enfants et les femmes enceintes, maux de tête, irritation de la gorge… ces algues empoisonnent la vie des Martiniquais. Mais pas qu’eux. La sargasse, dont la présence a explosé depuis 10 ans, s’étend à travers la mer des Caraïbes et parfois jusqu’au golfe du Mexique.

Elle est la preuve que la chimie de nos océans a radicalement changé, affectant toute la biodiversité… des poissons qui meurent par milliers, jusqu’à nous, les humains, qui sommes à l’origine de ces bouleversements.

Selon une étude publiée dans la revue Nature, la prolifération de la sargasse dépendrait notamment de la destruction des forêts amazoniennes au profit de l’élevage de bétail qui augmente le déversement d’engrais et de fumier dans les rivières, mais aussi des changements climatiques qui provoquent davantage de pluies diluviennes et de ruissellement des eaux usées et des rejets agricoles vers les océans.1

La sargasse force plusieurs constats, alors que Montréal s’apprête à accueillir, du 7 au 19 décembre, la COP15 sur la biodiversité qui regroupera 20 000 délégués du monde entier.

D’abord, il faut le reconnaître clairement : l’humain est largement à l’origine de la détérioration rapide de la biodiversité qu’on doit stopper au plus vite.

Ensuite, les changements climatiques sont indissociables de l’érosion de la biodiversité. Un problème alimente l’autre, créant un cercle vicieux qu’on doit briser en s’attaquant aux deux enjeux de front.

Il est impératif d’agir, car au rythme actuel, la Terre s’aligne vers la 6e grande extinction massive de son histoire.

Et notre action doit absolument être concertée à l’échelle mondiale, car les gestes faits dans un pays ont des répercussions partout.

Malheureusement, trois décennies après la première COP sur la biodiversité, en 1992, la réponse n’est pas à la hauteur, au Québec comme ailleurs dans le monde. Aucun des 20 objectifs d’Aichi fixés en 2010 n’a été atteint.

Au contraire, 60 % des populations de vertébrés ont disparu depuis 1970. Et aujourd’hui, le quart des espèces animales et végétales est en voie d’extinction à l’échelle planétaire, ce qui représente environ un million d’espèces, selon l’IPBES, la référence mondiale en biodiversité, à la manière du GIEC pour les changements climatiques.2

Il faut renverser la vapeur à tout prix. Mais par où commencer ?

L’agriculture retiendra beaucoup l’attention lors de la COP15. On voudrait notamment réduire l’utilisation de pesticides des deux tiers, si l’on se fie à l’ébauche qui servira de base de négociation.

Ce n’est pas si loin de l’objectif de l’Union européenne qui veut réduire les pesticides de moitié, d’ici 2030. Mais le défi est gigantesque pour le Québec qui n’a pas réussi à diminuer l’utilisation des pesticides ces dernières années.

Les rejets agricoles provoquent une tragédie dans nos lacs et nos rivières, où la population d’insectes invertébrés aquatiques chute. Avis aux Québécois qui seraient tentés de s’en réjouir : les insectes ne sont pas une nuisance, mais un bienfait pour la nature.

Tout petits, ils sont les premiers touchés par la pollution, les premiers au front. Mais c’est l’ensemble de la chaîne alimentaire qui y goûte. L’impact se fait sentir jusque dans notre assiette. C’est pourquoi il faut de meilleures balises.

Idem pour les déversements d’eaux usées que Québec devrait encadrer plus sérieusement. En 2021, le Québec a connu 36 391 déversements d’eaux usées, selon la Fondation Rivières.3 Or, l’urine transporte des contaminants, comme les hormones provenant de la pilule contraceptive, ce qui modifie le système reproducteur des animaux aquatiques.

Mais on peut bien fixer des cibles et établir des politiques, tout ça ne donne rien si les mesures ne sont pas suivies. Et c’est exactement ce qui se produit avec la protection des milieux humides.

Québec avait fixé un objectif « d’aucune perte nette ». Fort bien. Mais la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques, adoptée il y a cinq ans, est mal conçue. Les promoteurs continuent de détruire ces milieux naturels cruciaux, et l’argent qui devrait servir à compenser les pertes n’est pas réinvesti.

Un échec lamentable.

Si on veut préserver la biodiversité, il faut mettre un frein à l’étalement urbain, comme l’a si bien fait le maire de Saint-Lin–Laurentides qui veut développer sa ville à l’intérieur du périmètre urbain, au lieu de céder aux pressions des promoteurs souhaitant gruger le territoire agricole.

On le félicite.

Mais ce serait à Québec de mettre des balises claires s’il veut vraiment, « contrer la perte de milieux naturels et de territoires agricoles », comme le précise sa politique nationale de l’architecture et de l’aménagement, adoptée l’été dernier.

De grâce, arrêtons de jouer à l’autruche. La planète ne tourne pas rond. Et ce sont toutes les espèces, y compris les humains, qui en font les frais.

1. Consultez une étude publiée dans la revue Nature (en anglais) 2. Consultez un rapport de l’IPBES 3. Lisez un communiqué de la Fondation Rivières Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion