Y a-t-il quelqu’un au bout du fil chez Santé Canada ?

À voir le nombre de dossiers dans lesquels le Ministère est empêtré, incapable d’agir ni même de s’expliquer clairement, on peut se poser la question.

Le dernier exemple en lice est le détournement par le crime organisé des permis pour la culture personnelle de cannabis à des fins médicales.

Notre collègue Daniel Renaud rapportait récemment que ces permis octroyés par Santé Canada sont utilisés pour établir des productions de milliers de plants de cannabis. Selon les policiers, le pot est ensuite exporté aux États-Unis et sert de monnaie d’échange pour importer des drogues dures et des armes à feu chez nous. Des drogues et des armes qui tuent des Canadiens⁠1.

On est loin, très loin, de l’esprit de la loi, conçue pour qu’un patient souffrant de sclérose en plaques, par exemple, puisse cultiver son pot afin d’alléger ses douleurs. Sans compter que la légalisation du cannabis visait justement à couper les revenus du crime organisé. Qu’une agence fédérale soit utilisée pour contourner cet objectif est aussi paradoxal que décourageant.

Difficile pour Santé Canada de plaider l’ignorance. Depuis des années, les policiers multiplient les appels au ministère pour qu’il révoque les permis problématiques, resserre ses règles d’attribution et fasse des inspections.

À eux seuls, les policiers québécois lui ont acheminé pas moins de 2950 communications en ce sens l’an dernier. C’est huit par jour !

Mais le Ministère fait penser à quelqu’un qui se bouche les deux oreilles avec ses mains et chante en même temps pour ne rien entendre.

Santé Canada préfère rejeter le blâme sur les médecins qui rédigent les prescriptions de cannabis médical. Oui, ils ont leur part de responsabilité. Mais ce n’est pas une raison pour que Santé Canada se dégage des siennes. Octroyer un permis vient avec la responsabilité de s’assurer que celui-ci tombe entre les bonnes mains et soit utilisé à bon escient. C’est encore plus vrai quand on constate que le nombre de tels permis est en pleine explosion.

Dans un monde idéal, Santé Canada pousserait la réflexion plus loin. Elle se demanderait si, depuis la légalisation du cannabis, les permis qu’elle accorde ont encore leur pertinence. Les pharmaciens québécois, par exemple, proposent de s’occuper de la distribution du cannabis médical — une idée porteuse⁠2.

Mais Santé Canada n’a de toute évidence pas ce niveau de proactivité. C’est d’ailleurs loin d’être le seul dossier où le Ministère réagit avec une vitesse géologique. Chaque fois, le laxisme se fait au détriment de la santé des Canadiens.

Le mois dernier, notre journaliste Catherine Handfield rapportait que des cliniques offrant des perfusions de vitamines par intraveineuse ont fait leur apparition à Montréal. Ces pseudothérapies sont censées améliorer le sommeil et l’humeur et procurer « le sentiment de se sentir hydraté »⁠3.

Des prétentions qui, de l’avis des experts, relèvent du charlatanisme.

Des articles de journaux dénoncent ces cliniques depuis au moins 2015 au Canada anglais. Mais Santé Canada en est toujours à se demander si le dossier est de juridiction provinciale ou fédérale.

Pendant que les Canadiens se font escroquer sous de fausses prétentions, la réflexion se poursuit.

Ce n’est pas unique. Joel Lexchin, médecin et chercheur à l’Hôpital général de Toronto, souligne qu’il a fallu 16 ans (!) à Santé Canada pour décider s’il fallait tenir un registre complet de tous les essais cliniques qui se déroulent au Canada. Selon lui, la décision — ne pas tenir un tel registre — est mal justifiée.

Autre dossier sur lequel le temps ne semble pas avoir d’emprise : la réforme visant à mieux encadrer la vente des produits naturels. Santé Canada y planche depuis 2016. L’an dernier, un rapport dévastateur du Vérificateur général du Canada a pourtant montré l’urgence d’agir. Produits naturels élaborés avec des matières premières périmées, mauvais dosage d’ingrédients actifs, effets secondaires graves pouvant aller jusqu’à l’hospitalisation : le rapport concluait que Santé Canada échoue dans ses responsabilités de « garantir l’innocuité et l’efficacité de ces produits » ⁠4.

Joel Lexchin, qui précise que son expertise concerne surtout les médicaments sous ordonnance, estime que c’est la proximité de Santé Canada avec l’industrie qui la rend réticente à agir.

Ce mois-ci, Radio-Canada révélait justement que Santé Canada a travaillé directement sur des documents Word provenant de l’industrie pour élaborer une réforme concernant des aliments élaborés à partir de nouvelles techniques génomiques⁠5.

Santé Canada a fait un boulot exemplaire pour approuver les vaccins et médicaments contre la COVID-19. Il est grand temps que cette proactivité gagne l’ensemble du ministère.

On comprend que le ministre Jean-Yves Duclos veut éviter l’ingérence politique dans les processus d’approbation de son ministère, mais ce n’est pas cela qu’on lui demande. Il s’agit plutôt de secouer une machine paralysée qui, à bien des égards, ne remplit plus son rôle de protéger la santé des Canadiens.

1. Lisez « Le programme fédéral détourné par le crime organisé »

2. Lisez la lettre du président de l’Ordre des pharmaciens du Québec en écran 12

3. Lisez « La thérapie IV s’invite à Montréal » 4. Lisez le rapport du Vérificateur général du Canada sur les produits de santé naturels 5. Lisez « OGM : Ottawa présente sa réforme en utilisant les fichiers d’un lobby agrochimique » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion