La « thérapie de vitamine par intraveineuse » est désormais offerte à Montréal, comme en témoignent des publicités et des publications que vous avez peut-être vues passer cet été sur les réseaux sociaux. Le concept ? Une perfusion de vitamines, de minéraux et d’acides aminés. Utile ? Des scientifiques n’y voient « aucune utilité médicale ».

« Après le week-end le plus calme de mon été (thank god), je commence ma semaine en clinique privée avec un IV drip rempli de vitamines et de minéraux. Hydratation, système immunitaire, sommeil. »

C’est ainsi qu’Olivier Dion a décrit lundi sur Instagram sa visite à la clinique Go test rapide (GTR), à Montréal. Dans la vidéo (depuis retirée du réseau social), le chanteur est assis confortablement sur un divan, avec dans l’avant-bras une aiguille reliée à une poche de liquide jaune.

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Olivier Dion reçoit une thérapie IV.

Voilà six semaines que la clinique GTR offre des thérapies IV, ou thérapies par goutte-à-goutte. Sur son site internet, l’entreprise soutient que cette thérapie – offerte à 250 $ – permet de « se sentir hydraté et d’améliorer la fonction immunitaire ».

Olivier Dion n’a pas souhaité parler de son expérience à La Presse, mais le directeur général et cofondateur de la clinique GTR, l’entrepreneur Daniel Selcer, nous a rappelés.

« Nous essayons d’être toujours à l’affût », explique-t-il, en soulignant que son entreprise a été la première au pays à offrir un centre de dépistage de la COVID-19 à l’auto. La thérapie IV est largement acceptée aux États-Unis, mais pour une raison ou pour une autre, c’était disponible de manière très, très limitée au Canada. »

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Publication Facebook de la Montreal’s IV clinic

La Presse a dénombré sept autres entreprises offrant ce service dans le Grand Montréal, dont la Montreal’s IV clinic, elle aussi active sur les réseaux sociaux. Sur une de ses publications, la Montreal’s IV clinic utilise des citations des vedettes américaines Hailey Bieber et Kendall Jenner, qui ont toutes deux reçu une thérapie IV dans un récent épisode de la série The Kardashians. L’entreprise n’a pas rappelé La Presse.

La Clinique Nord, à Laval, est la première clinique médicale à avoir offert la thérapie IV au Québec, en juin 2021, selon sa directrice générale, l’infirmière Chems Diouri. La clinique, dit-elle, accueille deux types de clients : ceux qui prennent soin de leur santé et qui veulent un « boost additionnel », et ceux qui, ordonnance en main, viennent chercher un élément en particulier, comme du fer ou de la vitamine C.

Tout le monde est différent et tout le monde a besoin d’être évalué et traité différemment et de façon appropriée.

Chems Diouri, directrice générale de la Clinique Nord

La clinique Drip Bar Mtl, pour sa part, se trouve à même la clinique du chirurgien esthétique Arthur Swift, à Westmount. Selon l’infirmière Stephanie Ozcanian, la clientèle se compose de patients pré- ou post-opératoires, « pour guérir plus vite et donner de l’énergie », mais aussi de gens qui ont des problèmes de santé et d’athlètes.

Dans ces trois cliniques, on a indiqué à La Presse que des infirmières se chargent de faire les perfusions et qu’un médecin est impliqué dans les prescriptions.

Manque de données

La paternité de ces infusions de vitamines est attribuée au médecin américain John Myers, dans les années 1960. Dans la dernière décennie, des vedettes d’Hollywood ont adopté la thérapie IV (comme Gwyneth Paltrow et Chrissy Teigen) et sa popularité a explosé.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Des infirmières font les perfusions.

Aux États-Unis comme au Canada, des scientifiques déplorent le manque de données scientifiques entourant ces thérapies. Les entreprises utilisent d’ailleurs des formulations vagues pour décrire ses bienfaits, comme « sommeil », « énergie », « détoxification », « immunité », « hydratation », « humeur », « récupération », etc.

En 2009, des chercheurs ont étudié l’effet du « Myers’ cocktail » sur des patients atteints de fibromyalgie. Ils ont révélé une amélioration, certes, mais cette amélioration était comparable à celle observée dans le groupe témoin ayant reçu un placebo.

Consultez l’étude (en anglais)

L’entrepreneur Daniel Selcer de la clinique GTR fait valoir qu’il est difficile d’étudier scientifiquement l’humeur d’une personne après une thérapie, étant donné tous les facteurs qui peuvent entrer en jeu. « J’ai fait moi-même la thérapie, évidemment, et je peux vous dire que ça me donne un extra hop in my step [du pep dans le soulier] », dit-il.

L’infirmière Chems Diouri, de la Clinique Nord, indique pour sa part que « la littérature scientifique est contradictoire et l’a toujours été ». « Il y a des praticiens et des études qui soutiennent les thérapies IV, et d’autres non », dit-elle.

« Inutile »

Directeur de l’Unité de recherche en physiologie moléculaire à l’Institut de recherches cliniques de Montréal, le chercheur Mathieu Ferron a parcouru la littérature, dont celle citée sur les sites internet de ces entreprises. Il a trouvé des articles datés, et plusieurs portant sur l’effet d’un micronutriment précis appliqué pour une pathologie précise.

« Ces entreprises peuvent bien citer des articles, mais pour ce qu’elles proposent, ces articles ne sont pas pertinents », résume Mathieu Ferron.

Comme ces fluides ne sont pas considérés comme des médicaments, mais plutôt comme des suppléments, le fabricant n’a pas à démontrer leur efficacité médicale pour traiter une maladie spécifique, souligne Mathieu Ferron.

Ils utilisent un enrobage scientifique pour vendre un produit commercial qui n’est pas appuyé sur des preuves ou des études scientifiques. C’est de la pseudoscience, c’est basé sur du vent.

Mathieu Ferron, biochimiste

Le cardiologue et épidémiologiste Christopher Labos a écrit une chronique sur la thérapie IV dans The Montreal Gazette en 2015 alors qu’elle commençait à être offerte en Ontario. « Le consensus médical sur le sujet, c’est que les vitamines par intraveineuse, ça ne guérit rien, sauf pour des patients très, très spécifiques pour des raisons très, très spécifiques », résume le DLabos, qui donne l’exemple d’un patient ayant une carence de vitamine précise et qui ne peut être nourri par la bouche.

Qui plus est, dit-il, si on mange régulièrement des fruits et des légumes, on n’a pas à s’inquiéter d’une déficience en vitamines.

« Beaucoup de gens croient que s’il est bon de prendre un peu de vitamines, c’est encore meilleur d’en prendre plus, souligne le DLabos. Mais la réalité, c’est que lorsque le corps humain a assez de vitamines pour faire ses fonctions biologiques, il excrète les vitamines solubles à l’eau (comme les B et la C) dans l’urine. »

Le professeur John White, du département de physiologie de l’Université McGill, estime pour sa part que, « pour une personne normale et en santé », ces thérapies intraveineuses sont « complètement non nécessaires ».

« Nous avons évolué pour absorber des vitamines dans notre diète, rappelle John White. C’est moins cher et beaucoup plus facile que d’aller dans une de ces boutiques fancy. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Un composé de Vitamindrip

Quelle réglementation ?

Qu’est-ce qui régule ces « formules » de vitamines ? À Santé Canada, on indique qu’« il n’est pas encore possible de déterminer si ces activités relèvent du champ d’exercice des pharmacies ou si elles relèveraient de la définition d’un médicament ». Santé Canada a d’ailleurs reçu des plaintes à propos de cliniques canadiennes, et « les suivis sont en cours ». Si les activités faisaient partie du champ d’exercice de la médecine ou de la pharmacie, elles relèveraient de la supervision des provinces et des territoires.

Vitamindrip, qui fournit des entreprises montréalaises, est une société pharmaceutique canadienne. Dans un courriel, Vitamindrip a indiqué que ses composés s’inscrivent dans une « nouvelle catégorie de produit » et qu’ils sont « conformes aux spécifications » de l’Ordre des pharmaciens de l’Ontario, de l’Association nationale des organismes de réglementation de la pharmacie et de la Pharmacopée des États-Unis.

Au Collège des médecins, on invite la population à agir avec « grande prudence » et à en discuter d’abord avec un médecin, au besoin. « Le Collège n’est pas une société savante, mais ce traitement ne s’appuie pas sur des données scientifiques solides », indique Leslie Labranche, conseillère principale aux relations médias.

Comme il n’y a pas d’étude sur l’effet que pourrait avoir la combinaison de tous ces micronutriments, et comme on ignore la quantité précise de vitamines que ces produits contiennent, le chercheur Mathieu Ferron prône le principe de précaution. « Je trouve aberrant que ce ne soit pas réglementé plus que ça », dit-il.