Pourtant, le bébé se présentait bien. Avant le dépôt du projet de loi 96, il régnait un rare climat de coopération afin d’améliorer la protection de la langue française. Tant le gouvernement fédéral que les partis de l’opposition à Québec étaient prêts à pousser dans la bonne direction.

Mais voilà que ressurgissent les vieilles querelles linguistiques dont personne ne voulait. Entre les manifestations et l’escalade verbale, les partis politiques jouent leurs cartes plutôt en fonction des gains politiques que de la protection de la langue.

Au lieu de ce clivage, est-ce qu’on pourrait se parler ? Au lieu de cette dramatisation et de cette politisation néfaste, est-ce qu’on pourrait prendre un pas de recul et revenir au point de départ ? En se fondant sur des faits, pas des impressions.

Soyons clairs, le français en Amérique du Nord sera toujours dans une position fragile qu’il faudra défendre. Mais il ne faut pas non plus sombrer dans un scénario catastrophe et imposer des mesures coercitives sans nécessité évidente. Le français n’est pas au bord de la noyade. Et le Québec n’est pas la Louisiane de demain.

Plusieurs font fausse route en focalisant sur des indicateurs comme la langue maternelle ou la langue parlée à la maison qui donnent un portrait alarmiste du déclin du français au Québec.

Il est vrai que le poids démographique de la population ayant le français comme langue maternelle a diminué de 4,6 points de pourcentage entre 1951 et 2016. En passant, la baisse a été encore plus rapide chez les anglos (5,2 points).

Mais il ne faut pas crier au loup.

Bien sûr, les Québécois dont la langue maternelle est une langue tierce pèsent plus lourd au Québec, en raison de l’immigration. Et il est normal que ces familles continuent de parler leur langue maternelle autour de la table de la salle à manger, quoique, de plus en plus, on constate qu’elles parlent aussi d’autres langues à la maison.

Et le français sort gagnant.

Contrairement à une fausse croyance répandue, la majorité des immigrants de langue maternelle tierce adoptent plus souvent le français (65 %) que l’anglais (33 %) à la maison. Cette proportion est encore plus forte (75 %) pour ceux qui sont arrivés depuis 10 ans.

Bref, on s’en va dans le bon sens.

Mais ce qui compte vraiment, c’est la langue parlée dans la sphère publique.

Sur le marché du travail, les scandales très médiatisés chez Air Canada et au CN laissent présager le pire.

En réalité, le français a connu une légère baisse, alors que les travailleurs sont plus nombreux à utiliser le français et l’anglais à la fois, selon les données de l’Office québécois de la langue française (OQLF).

Cela s’explique entre autres par le fait que l’économie québécoise a connu une belle accélération de ses exportations de services, ce qui exige le bilinguisme. Et ça, aucune loi ne pourra rien y changer.

Du côté du commerce de détail, le français a perdu des plumes comme langue d’accueil dans l’île de Montréal, au détriment de l’accueil unilingue anglais ou bilingue. Mais au-delà de la désagréable mode du « Bonjour Hi », les clients peuvent être servis en français plus de 95 % du temps, et c’est ce qui compte vraiment.

Quant à l’affichage, le taux de conformité s’est amélioré, notamment dans l’ouest de l’île et au centre-ville.

Et sur les bancs d’école, la loi 101 a été un succès. Les enfants d’immigrants doivent maintenant fréquenter le primaire et le secondaire en français, alors qu’ils étaient seulement 15 % à le faire avant 1977.

Récemment, on a fait grand cas de l’augmentation de la popularité des cégeps anglophones auprès des étudiants francophones. Mais on oublie de dire que la proportion des élèves qui ont une langue maternelle tierce inscrits dans un cégep francophone a explosé de 25 % en 1985 à 66 % en 2021.

Voilà de quoi se réjouir.

Sans tomber dans le jovialisme, il faut reconnaître que le portrait d’ensemble du français est plutôt stable dans la sphère publique, selon les données de l’OQLF. Ce qui ne veut pas dire qu’on doit rester les bras croisés.

Par exemple, il n’est pas acceptable que le tiers des anglophones ne parlent pas la langue de Tremblay. C’est mieux qu’en 1971, alors que c’était les deux tiers. Mais il reste du chemin à faire.

Il faut améliorer les cours de français au primaire et au secondaire, qui ne sont manifestement pas à la hauteur. Autrement, l’obligation de suivre des cours en français au collégial n’aurait pas provoqué une levée de boucliers de la part de jeunes anglophones trouvant la barre trop haute.

D’autres pistes ?

Mieux intégrer les immigrants dans la communauté francophone, à commencer par la fonction publique, où ils sont extrêmement sous-représentés.

Retenir les familles francophones qui quittent massivement l’île de Montréal, pour ne pas creuser davantage le fossé linguistique entre la métropole et le reste du Québec, un clivage malsain qui nuit au dialogue.

Car si on veut se comprendre, il faut qu’on se parle… en français, s’il vous plaît.

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