Non, on ne vit pas gras avec le salaire minimum. Mais c’est au Québec qu’on vit le plus dignement. Et de loin.

Ce constat est contre-intuitif, puisque le salaire minimum est plus élevé dans d’autres provinces, comme la Colombie-Britannique, l’Ontario et l’Alberta, qui ont déjà passé le seuil symbolique des 15 $ l’heure.

Au Québec, le salaire minimum va atteindre 14,25 $, à partir de dimanche, en hausse de 75 cents. Il devrait passer la barre des 15 $ l’an prochain, si l’on se fie aux déclarations du ministre du Travail.

Mais les groupes qui militent pour un salaire minimum à 15 $, depuis 2016, sont loin de crier victoire. À cause de l’inflation, 18 $ est le nouveau 15 $. On le verra sûrement sur les pancartes des manifestants qui marcheront dans les rues de Montréal, dimanche, en cette Journée internationale des travailleurs.

D’autres vont même plus loin. Par exemple, le président du conseil de Cogego, Louis Audet, a fait couler beaucoup d’encre en plaidant pour un salaire minimum à 20 $, afin de lutter contre les iniquités.

Il est vrai qu’on doit prendre au sérieux les écarts de richesse, une source d’injustice qui crée de la grogne populaire et de l’instabilité sociale. On le voit avec le clivage en France qui s’est traduit par une majorité des votes aux partis extrémistes au premier tour de l’élection présidentielle.

Sauf que dans tout ce débat, le salaire minimum est l’arbre qui cache la forêt. Ce n’est qu’un des ingrédients qu’on doit mettre dans la balance pour bien analyser la situation des travailleurs au bas de l’échelle.

Pour comparer des pommes avec des pommes, il faut tenir compte des avantages fiscaux auxquels ont droit les travailleurs, comme la prime au travail, le crédit à la solidarité, le crédit de TPS et les allocations pour enfants, qui sont très payantes pour les familles à faibles revenus du Québec.

Et il faut aussi garder en tête que le coût de la vie est moins élevé au Québec que dans d’autres provinces, comme l’Ontario ou la Colombie-Britannique, où le logement est exorbitant.

En considérant ces facteurs, on réalise que le Québec est la seule province où un travailleur à temps plein au salaire minimum a assez d’argent dans ses poches pour couvrir ses besoins de base, comme défini par la mesure du panier de consommation (MPC).

En fait, une personne seule couvrira 104 % de ses besoins de base au Québec, par rapport à 92 % en moyenne au Canada. Peu importe le type de ménage analysé, le Québec est toujours la province où les travailleurs au salaire minimum s’en tirent le mieux, selon une étude de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke1.

Ce n’est pas tout. À l’échelle mondiale, le Canada est un des pays où les travailleurs au salaire minimum ont la meilleure qualité de vie.

Mais l’inflation dans tout ça ?

Sans aucun doute, l’augmentation du coût de la vie, qui n’a jamais été si forte en 30 ans, est beaucoup plus difficile à avaler pour les moins nantis qui consacrent une part beaucoup plus importante de leur budget aux dépenses essentielles.

Mais ici encore, il faut mettre les choses en perspective.

Depuis 20 ans, le salaire minimum a doublé, progressant deux fois plus vite (+ 98 %) que l’inflation (+ 44 %). Même cette année, la hausse de 75 cents, soit 5,56 %, permettra aux travailleurs d’améliorer leur pouvoir d’achat, surtout en considérant l’aide ponctuelle de Québec, soit la bonification du crédit de Solidarité et le fameux 500 $ qui était parfaitement justifiée pour les plus démunis.

Certains disent que ce n’est pas assez. Ils soutiennent que la MPC permet seulement de survivre, pas de vivre comme il faut. Sans doute.

Mais en relevant le salaire minimum trop vite, il y a un risque de nuire aux PME qui se relèvent péniblement de la pandémie. Quoiqu’avec la pénurie de main-d’œuvre, les entreprises n’ont pas le choix d’augmenter les salaires. C’est d’ailleurs pour cela qu’il ne reste que 4,8 % de la population au salaire minimum, un creux en presque 15 ans.

En haussant le salaire minimum, on risque aussi de provoquer du décrochage scolaire, en incitant les jeunes à travailler plutôt qu’à rester sur les bancs d’école. Car, il faut bien le dire, une majorité des travailleurs au salaire minimum sont des jeunes de 15 à 24 ans, des gens qui travaillent à temps partiel. Autrement dit, des étudiants, dont certains vivent chez leurs parents.

Si ce sont les étudiants qu’on veut aider, faisons-le de façon plus chirurgicale, en donnant un coup de pouce à ceux qui en ont vraiment besoin.

Si l’objectif est de réduire la pauvreté, concentrons-nous sur les personnes seules qui n’ont pas été gâtées ces dernières années, alors que les gouvernements n’en avaient que pour les familles avec des enfants.

Or, ce n’est pas en haussant le salaire minimum qu’on aidera les moins gâtés de tous, c’est-à-dire les prestataires de l’aide sociale, dont les maigres revenus de 11 450 $ par année couvrent à peine la moitié des dépenses essentielles (51 % de la MPC).

Évidemment, on ne gagne pas des élections en courtisant les plus démunis. Mais si on se préoccupe vraiment de justice sociale, on ne peut pas les laisser sur leur faim.

1. CONSULTEZ l’étude « Ménages québécois travaillant au salaire minimum : des comparaisons » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion