Ce samedi, des parents, surtout des mères, manifesteront devant l’Assemblée nationale pour dénoncer le manque de places en garderie et réclamer une prestation d’urgence.

À l’origine de cette manifestation, il y a l’organisme Ma place au travail, un mouvement citoyen fondé il y a un an par Myriam Lapointe-Gagnon, une mère de famille du Bas-Saint-Laurent.

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Pilon-Larose à son sujet

Au fil des mois, le mouvement s’est organisé et la liste de ses demandes s’est allongée. Le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, a répondu favorablement à la majorité d’entre elles. Son projet de loi 1 prévoit entre autres un investissement de 3 milliards de dollars pour la création, d’ici 2025, de 17 000 nouvelles places, la conversion de places non subventionnées en places subventionnées, ainsi que l’embauche de près de 18 000 éducatrices. À l’heure actuelle, on estime que 37 000 familles ont des besoins immédiats en matière de garde d’enfant.

Or, depuis quelques jours, le débat s’est grandement politisé, les partis de l’opposition réclamant un débat sur un accès garanti aux services de garde alors que Québec solidaire, lui, appuie le mouvement de Myriam Lapointe-Gagnon et exige une prestation d’urgence mensuelle de 870 $ pour indemniser les parents incapables de retourner au travail après leur congé parental faute de place en garderie.

À première vue, cette prestation peut sembler une bonne idée. On comprend, en partie, le raisonnement qui la défend : dans un couple hétérosexuel, ce sont les femmes qui perdent le plus lorsqu’un des deux parents doit rester à la maison, leur salaire étant souvent moins élevé. La perte de revenu se traduit par une perte d’autonomie, sans compter les conséquences sur le cheminement professionnel. On fait le pari qu’une prestation pourrait leur assurer une certaine autonomie financière.

Pour le fiscaliste Luc Godbout, il est toutefois évident qu’il s’agit d’une « illusion d’autonomie ». Selon lui, la prestation comporte des effets pervers, dont le plus important est celui d’encourager le parent au plus petit salaire (souvent la mère) à rester à la maison.

Catherine Haeck, professeure d’économie à l’UQAM et directrice du Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales, partage cet avis et estime qu’une telle mesure n’aiderait qu’une infime partie des parents. Or, souligne-t-elle, rien dans les statistiques n’indique pour l’instant une augmentation du nombre de femmes ayant quitté le travail pour rester à la maison. Cette prestation pourrait les y inciter. Ajoutons que cette prestation n’est pas sans rappeler la PUGE du gouvernement Harper et les propositions de l’ADQ de Mario Dumont. Tous deux plaidaient pour le libre choix en matière de garde d’enfant, une approche dénoncée par bon nombre de féministes à l’époque.

Il existe d’autres options que le CPE pour faire garder son enfant, à commencer par les garderies privées. Les parents ont droit à un crédit d’impôt remboursable qui couvre entre 67 % et 78 % de la valeur des frais de garde, selon le revenu familial. On peut aussi faire garder son enfant à la maison puisque le crédit d’impôt s’applique aux frais de garde à domicile. C’est sans compter que les parents peuvent aussi déduire les frais de garde de leurs revenus au fédéral, qui accorde en outre une allocation pour enfants en bas âge.

Bien sûr, tout cela ne crée pas immédiatement de nouvelles places en garderie. Québec a également augmenté les salaires des éducatrices en milieu familial tout en réduisant la charge administrative de ces petites entreprises. On compte ainsi pouvoir créer 1000 nouvelles places par année dans un avenir rapproché.

Bref, sans minimiser l’épreuve que vivent les parents qui cherchent une place actuellement, ce n’est pas vrai que les femmes vivent une situation pire que ce que vivaient leurs mères à l’époque. Dans les faits, il n’y a jamais eu autant de places en garderies.

Et puis, soyons réalistes. Le gouvernement est en mode rattrapage. Il ne peut pas construire des garderies en deux jours. Et on ne peut pas s’attendre à ce que le nombre de places en garderie suive le mouvement migratoire des Québécois qui s’est accentué durant la pandémie. Si une région du Québec voit arriver 50 nouvelles familles d’un coup, il se peut que cela prenne du temps avant que les services de garde s’adaptent à la demande.

Cela dit, la manifestation de ce samedi a sa raison d’être. Il faut continuer à mettre de la pression pour accélérer la création de nouvelles places afin d‘atteindre l’objectif d’« une place pour tous ». Il faut aussi revendiquer des services de garde de qualité, au public comme au privé. Et surtout, il faut faire pression sur les hommes pour qu’ils défendent ce dossier eux aussi. En 2022, ce n’est pas normal que la question de la garde des enfants soit défendue presque exclusivement par des femmes sur la place publique. Et c’est encore moins acceptable qu’une députée qui défend les conditions économiques des femmes au Salon bleu se fasse traiter de « Mère Teresa » par le premier ministre Legault, qui ne gagnera pas de points auprès des femmes en faisant preuve de tant de condescendance. L’enjeu des places en garderie, ça concerne tout le monde.

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