Les enfants ont le don de mettre le doigt sur le bobo. À sa mère infirmière au bord de l’épuisement professionnel, un petit mousse a récemment demandé :

« Maman, pourquoi tu es toujours fatiguée ? »

— Parce qu’il manque d’infirmières.

— Ils devraient engager des infirmières avec plus d’énergie », de rétorquer le petit en mettant le doigt, du haut de ses trois ans et demi, sur le cercle vicieux dans lequel s’enfonce inexorablement le réseau de la santé depuis des années.

Comme il manque d’infirmières, le fardeau retombe sur celles qui restent, jusqu’à ce qu’elles quittent le navire, ce qui accentue la pénurie.

Et la quatrième vague de la COVID-19 est un coup de grâce pour les troupes complètement vidées après un an et demi de pandémie. Vacances annulées, heures supplémentaires obligatoires, surcharge de travail… Même en donnant tout ce qu’elles ont dans le ventre, bien des infirmières ressortent de l’hôpital avec le sentiment de ne pas en avoir fait assez pour les patients.

La culpabilité s’ajoute alors à l’épuisement. La fatigue mentale et la détresse psychologique poussent les infirmières vers la sortie. Une étude récente montre d’ailleurs que la moitié d’entre elles songent à quitter leur établissement (29,5 %) ou carrément la profession (22,3 %).

Urgence ! Il faut arrêter l’hémorragie. Déjà que les hôpitaux vivent des ruptures de services sans précédent.

Tant mieux si Québec sort un milliard de dollars pour tenter de stopper la spirale négative. Mais tout le monde le dit : il faudra plus que de l’argent pour guérir la plaie qui s’est créée au fil des réformes.

Remontons un peu dans le temps.

En quête du déficit zéro à la fin des années 1990, Québec pousse à la retraite les infirmières qui partent en plus grand nombre que prévu, à cause du virage ambulatoire et des fermetures d’hôpitaux de la réforme de Jean Rochon.

Pour regarnir les rangs, on modifie le calcul des heures supplémentaires dans les conventions collectives. Encore aujourd’hui, une infirmière qui a un poste à temps partiel (parfois à peine une journée par semaine) est payée en temps et demi lorsqu’on lui demande de travailler d’autres journées durant la semaine.

Cette mécanique insensée fait en sorte qu’une infirmière à temps partiel peut gagner autant en travaillant quatre jours qu’une infirmière qui a un horaire normal de cinq jours.

Ne vous demandez pas pourquoi on se retrouve aujourd’hui avec 40 % des infirmières à temps partiel ! Et maintenant Québec est obligé d’offrir des primes de 12 000 à 18 000 $ pour les convaincre de travailler à temps plein, d’ici 12 mois.

Bien sûr, la vraie solution est l’abolition de ce système de fausses heures supplémentaires qui devrait commencer à disparaître avec la prochaine convention collective. Ce ne sera pas trop tôt.

Mais au-delà de l’argent, c’est un véritable changement de culture qu’il faut opérer pour retenir les infirmières. Ce n’est pas leur salaire qui les désespère, mais leurs conditions de travail.

Ici, Québec est resté bien timide.

À terme, le ministre de la Santé, Christian Dubé, dit vouloir « réduire à sa plus simple expression » le recours aux agences de placement privées qui gangrènent le système public. On aurait souhaité un engagement plus ferme, avec un calendrier précis.

On aurait aussi voulu que Québec mette définitivement un terme à la dictature des heures supplémentaires obligatoires qui est l’apothéose de la mauvaise organisation du travail dans les hôpitaux.

Forcer une infirmière à travailler 16 heures de suite n’a aucun sens, ni pour elle, ni pour sa famille, ni pour les patients qu’elle soigne.

C’est tout simplement inhumain.

Mais depuis la réforme de Gaétan Barrette, les décisions ont été centralisées et les horaires sont gérés par de froids systèmes informatiques qui ne peuvent pas exercer un jugement en fonction de ce qui se passe sur le terrain.

Il faut revenir à la base, nommer des cheffes d’équipe compétentes à l’échelle locale.

En s’inspirant des hôpitaux anglophones qui s’en tirent mieux, il faut redonner les commandes à des équipes de proximité qui peuvent mieux s’entraider, mieux organiser les horaires en tenant compte des besoins de chacun.

En réinvestissant, on pourrait d’ailleurs prévoir dans ces équipes davantage d’employés que le nombre nécessaire pour faire le travail, afin de ne pas toujours se retrouver dans le pétrin à la moindre absence.

Évidemment, on ne peut pas cloner les infirmières. Mais en embauchant 3000 employés administratifs d’ici un an, Québec va au moins les libérer de la paperasse qui occupe parfois le tiers de leur temps.

Restes qu’on aurait pu s’attendre à ce que le gouvernement lance une vaste offensive pour soutenir les projets de réorganisation à travers le réseau. Mais non.

Québec mise plutôt sur la mise en application de la nouvelle convention collective pour transformer la culture de travail.

Ça reste à voir.

Chose certaine, il faut remettre les infirmières au cœur des décisions. C’est la meilleure façon de les mobiliser. Bien plus que des primes qui n’auront pas un impact durable si on ne s’attaque pas à la racine du mal.

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