Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? Cette phrase de Molière qui revient en boucle dans Les fourberies de Scapin n’a rien perdu de son actualité 350 ans plus tard.

Elle s’applique très bien à Justin Trudeau qui aura ramé durant toute la campagne pour convaincre les électeurs qu’il n’a pas déclenché des élections uniquement pour obtenir un mandat majoritaire, un objectif qui semble aujourd’hui bien difficile à atteindre à la lumière des sondages.

Le premier ministre se justifie en disant que le Parlement était devenu dysfonctionnel, retardant par exemple l’adoption de son énoncé économique de l’automne. « On n’a pas pu aider les Canadiens aussi rapidement qu’on l’aurait voulu », a expliqué Justin Trudeau lors d’une rencontre éditoriale qu’il a tenu à faire en personne, à La Presse.

Reste que, malgré les tiraillements, les libéraux auraient pu continuer à gouverner, la preuve étant qu’ils sont parvenus à faire adopter un budget historique contenant des dépenses de 100 milliards sur trois ans.

Et voilà qu’avec le déclenchement des élections, une série d’autres engagements viennent ajouter 78 milliards sur cinq ans dans la colonne des dépenses, sans le moindre objectif de retour à l’équilibre budgétaire à l’horizon.

Il est vrai que le poids de la dette par rapport à la taille de l’économie n’est pas alarmant et que le Canada a gardé sa cote de crédit triple A, ce qui témoigne de la solidité des finances publiques, comme le souligne Justin Trudeau.

Et les investissements qu’il projette vont stimuler la croissance économique. « Les garderies, ce n’est pas seulement un programme social pour l’éducation des petits enfants, c’est une mesure de croissance économique. On l’a vu au Québec », nous a dit le chef libéral.

Force est de constater que Justin Trudeau sait ramer.

Depuis le début de la campagne, notamment lors des débats télévisés, il a démontré une combativité qui tranchait avec ses points de presse formatés tenus devant les marches de Rideau Cottage durant la pandémie.

En rencontre éditoriale, il a répondu du tac au tac, en se tenant loin des formules vaseuses et préfabriquées. Sa maîtrise des dossiers était manifeste.

Ce contrôle, on peut l’attribuer au fait que la pandémie l’a poussé à s’impliquer et à « driver » les décisions de façon beaucoup plus personnelle et directe, en passant par-dessus les comités d’experts, faute de temps.

Face à ceux qui attaquent son bilan, Justin Trudeau se défend avec fougue. Par exemple, il rejette les critiques du chef néodémocrate Jagmeet Singh qui l’accuse de n’avoir rien fait en environnement.

« Mettre un prix sur la pollution, lutter avec acharnement contre les provinces conservatrices qui ne voulaient pas qu’on le fasse, et gagner à la Cour suprême, ce n’est pas rien ! », s’exclame-t-il.

L’implantation de la taxe carbone doit effectivement être saluée. Mais il faut aller plus loin, car à l’heure actuelle, le Canada reste un cancre de l’écofiscalité, avec des taxes sur l’essence largement inférieures à celles des autres pays de l’OCDE.

Justin Trudeau affiche aussi une transparence décomplexée à propos de la centralisation des pouvoirs qui lui a valu les foudres du premier ministre du Québec, François Legault.

Mais il change de vocabulaire.

Au lieu d’imposer des normes « fédérales » en santé, alors que les provinces réclament des transferts sans condition, il parle plutôt de normes « nationales » inspirées des meilleures pratiques des provinces, un peu comme les services de garde du Québec ont servi de référence pour le déploiement d’un système national financé par Ottawa.

« Ce n’est pas la place du fédéral de dire aux provinces comment gérer leur système de santé », concède Justin Trudeau. Mais si Ottawa investit assez d’argent, il estime être en droit d’exiger « des résultats concrets pour les gens. Je pense que c’est tout à fait légitime de le faire. »

Voilà qui a le mérite d’être clair.

Sauf que la santé n’est pas dans le champ de compétence d’Ottawa. Et ce n’est pas une couche de bureaucratie de plus qui amènera davantage de bras pour prendre soin des patients sur le terrain.

Justin Trudeau a beau ramer, il reste à voir s’il pourra éviter le naufrage lors du scrutin du 20 septembre. Une défaite aux mains des conservateurs ou un retour à un nouveau gouvernement minoritaire serait pour lui un aveu d’échec.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion