Des élections, pourquoi faire ? À mi-parcours de la campagne électorale, cette question colle encore à la semelle des libéraux comme une vilaine gomme qui empêche d’avancer.

Lors du débat télévisé de jeudi dernier, le premier ministre sortant Justin Trudeau n’a convaincu personne en expliquant qu’il avait besoin « d’un mandat clair ».

La preuve est faite depuis longtemps qu’un gouvernement minoritaire peut très bien faire l’affaire. Vous voulez des preuves ?

Le programme de l’assurance maladie.

Le Régime de pensions.

Le programme des prêts étudiants.

Toutes ces avancées qui sont le socle du Canada moderne ont été lancées dans les années 1960 par un gouvernement minoritaire, celui du libéral Lester B. Pearson, qui bénéficiait de l’appui du chef néo-démocrate Tommy Douglas.

De grands héritages, sans nul doute.

Dans les années 1970, la collaboration entre les néo-démocrates et le gouvernement minoritaire de Pierre Elliott Trudeau a notamment mené à la création de Petro-Canada.

Et rappelons qu’au milieu des années 2000, le chef néo-démocrate Jack Layton a utilisé son pouvoir de négociation pour faire ajouter des dépenses de 4,6 milliards de dollars, notamment pour le logement abordable et l’environnement, dans le budget que voulait déposer le libéral Paul Martin, alors minoritaire.

Bref, l’histoire montre qu’il y a moyen de s’entendre.

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Mais l’appétit du pouvoir sans partage fait en sorte que l’espérance de vie moyenne d’un gouvernement minoritaire n’est que de 21 mois au Canada depuis les années 1950.

C’est ce qui fait que le gouvernement Trudeau vient de déclencher des élections – les plus chères de l’histoire, avec une facture de 612 millions – même s’il n’est qu’à mi-mandat et que la loi prévoit des élections à date fixe, tous les quatre ans.

À peine le quart des électeurs étaient favorables à une campagne. Aucun des partis de l’opposition n’en voulait.

Les libéraux eux-mêmes avaient appuyé, pas plus tard qu’en mai dernier, une motion du Bloc québécois affirmant qu’il serait « irresponsable » de déclencher des élections durant la pandémie.

Nous voici tout de même en campagne, en pleine 4e vague, pour des raisons stratégiques et partisanes.

C’est d’autant plus regrettable qu’avec le déclenchement des élections, plusieurs projets de loi sont morts au feuilleton, à commencer par le projet de loi C-10, qui aurait forcé les géants du web comme Netflix, Spotify et YouTube à financer le contenu canadien.

Que diable Justin Trudeau avait-il besoin de déclencher des élections alors qu’il avait réussi à faire fonctionner le Parlement plutôt bien jusqu’à ce que la partisanerie s’accentue avec les rumeurs de scrutin ?

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Au centre de l’échiquier politique, il est certainement plus simple pour les libéraux de trouver des partenaires de danse et de conclure des alliances à la carte pour faire adopter leurs projets de loi.

Mais les conservateurs y sont aussi parvenus, lors de leurs deux mandats minoritaires consécutifs, de 2006 à 2011, en misant sur quelques mesures simples et claires, comme la réduction de la TPS.

Il est vrai que les trois autres partis ont fini par former une coalition pour renverser Stephen Harper. Mais au lieu de céder le pouvoir, celui-ci a prorogé le Parlement et déclenché des élections qui lui ont finalement donné une majorité.

Au Canada, les gouvernements de coalition ne sont pas dans les traditions. Mais ce n’est pas impossible non plus. On l’a vu en Colombie-Britannique, lorsque le NPD et les verts se sont alliés pour chasser la première ministre libérale Christy Clark, qui s’accrochait au pouvoir en 2017, alors qu’elle était minoritaire.

Ailleurs dans le monde, notamment en Europe, les coalitions font partie des mœurs. Et ces alliances portent leurs fruits.

À la fin des années 1990, par exemple, la Suède a réussi une réforme radicale de son système de retraite, sujet délicat s’il en est un. Une des forces de ce nouveau système est justement qu’il a émergé d’un consensus entre cinq des sept partis politiques qui représentaient 80 % des électeurs, à l’époque.

La démocratie à son meilleur.

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Bien plus démocratique qu’un gouvernement majoritaire au Canada qui concentre le pouvoir de façon démesurée dans le bureau d’un premier ministre imposant sa ligne de parti aux députés, en plus de nommer les membres du Sénat, les diplomates, les juges…

En ce sens, un gouvernement minoritaire peut être salutaire.

Il encourage le dialogue au lieu de l’affrontement.

Il force le gouvernement à être à l’écoute des partis de l’opposition, à recueillir les bonnes idées, d’où qu’elles viennent.

Il impose la recherche de compromis qui ont le mérite de refléter l’ensemble des électeurs… mais qui exigent souvent de sortir le chéquier, ce qui ne favorise pas la rigueur budgétaire.

Mais de toute façon, au Canada, les politiciens voient les mandats minoritaires comme une période de probation, un mal nécessaire en attendant le moment d’obtenir le pouvoir absolu.

Écartant d’un revers de main l’idée d’une coalition, lors du débat de jeudi, Justin Trudeau a d’ailleurs souligné qu’un gouvernement minoritaire déboucherait vers de nouvelles élections dans 18 mois.

Comme une façon de dire : chers électeurs, on se revoit dans un an et demi, même heure, même poste.

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