Gentleman. Humble. Respectueux. Georges St-Pierre utilise la réputation qu’il s’est taillée comme ex-champion du monde des arts martiaux mixtes pour faire la promotion d’une entreprise qui joue avec les règles d’une façon pour le moins discutable.

Soir après soir, durant les séries éliminatoires de la Coupe Stanley, les fans des Canadiens le voient faire l’éloge du site de jeu en ligne Bet99 à la télévision.

Pourtant, les jeux de hasard et d’argent offerts sur l’internet par des entreprises privées sont interdits au Canada par le Code criminel et même passibles d’une peine de prison de deux ans.

Mais voici l’astuce.

En ondes, Georges St-Pierre porte un t-shirt de la version gratuite de l’entreprise, dont l’adresse est Bet99.net. Mais l’entreprise offre aussi une plateforme payante où les joueurs peuvent faire de véritables gains en argent, cette fois à l’adresse Bet99.com, détenue par une société étrangère. Le logo est le même. Le nom est le même. Seule l’extension de l’adresse web est différente, comme l’a souligné l’équipe d’enquête de La Presse à la fin de mai.*

PHOTO LA PRESSE

Capture d’écran du site Bet99.com où on peut voir Georges Saint-Pierre.

Bien entendu, si vous entrez simplement « Bet99 » dans un moteur de recherche, on vous aiguillera en priorité vers le site payant.

Tordu, vous dites ?

Ce petit jeu a assez duré.

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L’histoire remonte à 2010. À l’époque, Loto-Québec lance Espacejeux afin de ramener chez elle les nombreux Québécois qui s’adonnent au jeu en ligne sur près de 2000 sites privés.

La nouvelle plateforme gouvernementale se veut une option plus sécuritaire pour les joueurs en ligne qui sont particulièrement vulnérables. Il s’agit d’une clientèle à plus faibles revenus, moins scolarisée, qui présente des risques de consommation d’alcool et de drogue plus élevés à la maison.

Évidemment, l’objectif est aussi de ramener les fruits du jeu en ligne vers les coffres de l’État, de manière à financer les services publics.

Mais l’offensive de Loto-Québec n’empêche pas les casinos privés de poursuivre allègrement leurs activités.

Pour les mettre en échec, Québec prend un hasardeux raccourci, en 2016. Au lieu de s’attaquer directement aux casinos virtuels qui sont difficiles à épingler puisqu’ils opèrent souvent de l’étranger, Québec décide d’obliger les fournisseurs de services internet à bloquer les sites illégaux.

L’approche a ses limites, car les casinos bannis risquent de revenir sous une autre adresse, comme dans un jeu de chat et de souris.

Mais en plus, les apôtres de la « neutralité du web » crient à la censure. Et les fournisseurs de télécoms se rebellent. L’affaire se retrouve devant les tribunaux, où Québec se fait dire par la Cour supérieure, en 2018, et puis par la Cour d’appel, en mai dernier, qu’il empiète sur les champs de compétence du fédéral et que sa loi est inconstitutionnelle.

L’histoire ne dit pas encore si Québec tentera sa chance à la Cour suprême. Le gouvernement a jusqu’en août pour se décider.

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Mais une chose est claire. Durant toutes ces années perdues devant les tribunaux, le problème n’a fait que s’aggraver, avec l’essor de l’internet et des téléphones intelligents.

Plus on attend, plus il y a de ravages. C’est encore plus vrai depuis le début de la pandémie qui a propulsé le jeu en ligne et les problèmes de dépendance.

Plus on attend, plus la notoriété des casinos virtuels s’accroît. Désormais, ces sites s’annoncent sans aucune gêne dans les médias traditionnels, avec l’appui de vedettes et de partenaires de chez nous, ce qui leur confère une grande crédibilité. Ces entreprises ont beau être installées à l’étranger, personne n’est dupe : elles ciblent très clairement la clientèle québécoise.

Il est temps d’agir. Et justement, il existe une solution.

Au lieu de s’acharner à protéger un monopole qui n’existe plus, Loto-Québec pourrait mettre en place un système de licences afin de mieux contrôler le marché du jeu en ligne. Il s’agit de la voie la plus prometteuse pour mater les casinos virtuels, a déjà statué en 2014 un comité d’experts présidé par Louise Nadeau.

La formule a fait ses preuves en France et en Angleterre où elle assure l’intégrité du jeu qui se déroule selon des règles équitables. L’Ontario vient aussi de s’engager dans cette direction.

Avec l’arrivée d’un nouveau patron chez Loto-Québec, à la fin de mai, on peut espérer que la société d’État change son plan de match et suive les traces de l’Ontario.

Le hic, c’est que le Code criminel n’accorde pas une telle latitude aux provinces. Enfin, tout dépend du point de vue…

Ottawa doit éclaircir ce flou juridique.

Justement, la semaine dernière, le Sénat a donné sa bénédiction au projet de loi C-218 qui modifie le Code criminel afin de permettre les paris sur des matchs sportifs individuels (football, hockey, etc.), ce qui était interdit jusqu’ici, sauf pour les courses de chevaux.

À l’origine, l’objectif était de réduire le trucage des matchs sportifs. Mais avec la montée des sites de paris étrangers sur le web, la loi canadienne était dépassée. Au lieu de se mettre la tête dans le sable, Ottawa a donc choisi de donner aux provinces les coudées franches pour assainir l’univers du pari sportif en ligne.

Fort bien.

Pour les casinos virtuels, il est aussi temps de modifier les règles du jeu.

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