À première vue, il est tentant de croire le premier ministre François Legault lorsqu’il qualifie d’illogique la décision rendue hier par la Cour supérieure à propos de la loi 21 sur la laïcité.

Dans les écoles anglophones, les enseignants auront droit de porter des signes religieux. Mais dans les écoles francophones, non.

Deux poids, deux mesures ? Un voile, deux solitudes ? Mais c’est bien parce que la Coalition avenir Québec l’a cherché.

On n’en serait pas là si la CAQ avait été un peu plus à l’écoute dans ce dossier si délicat. Rappelons-le, l’Assemblée nationale se dirigeait doucement vers un consensus lorsque la CAQ a décidé d’agir. Les partis de l’opposition auraient pu se rallier vers la proposition de la commission Bouchard-Taylor pour mettre fin à ce débat qui empoisonne le Québec depuis plus de 15 ans.

On aurait alors interdit le port de symboles religieux aux policiers, aux agents des services correctionnels et aux juges qui sont tous des figures d’autorité coercitive. Mais on l’aurait permis dans les écoles, où le port du voile n’est tout simplement pas un enjeu au Québec.

Malheureusement, la CAQ a refusé de faire ce compromis. En utilisant la clause dérogatoire de façon « désinvolte et inconsidérée », dixit le juge Marc-André Blanchard, la CAQ est allée de l’avant comme un chalutier qui ratisse trop large et ramasse au passage les droits fondamentaux des minorités.

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Il est clair que sans la clause dérogatoire qui permet aux provinces de passer outre certains articles de la Charte canadienne des droits et libertés, de larges pans de la loi 21 tomberaient à l’eau.

Mais le juge a les mains liées.

Les détracteurs de la clause dérogatoire plaidaient que les tribunaux pourraient, à tout le moins, émettre un jugement symbolique ayant pour but d’éduquer le grand public et d’alimenter le débat, puisque la clause dérogatoire doit être renouvelée tous les cinq ans. Ce genre de formule qui existe au Royaume-Uni a le mérite de préserver la souveraineté des élus, puisque la loi continue de s’appliquer, même s’il plane un nuage gris au-dessus.

Mais le juge Blanchard a mis cette idée au panier, tranchant qu’il ne peut pas faire indirectement ce qu’il n’a pas le droit de faire directement, c’est-à-dire bloquer la clause dérogatoire, qui fait partie du système canadien. Après tout, les provinces n’auraient pas signé la Charte en 1982, sans cette fameuse clause.

Mais le juge s’est quand même permis de souligner que plusieurs dispositions de la loi 21 « violent non seulement certains des droits garantis par les chartes canadienne et québécoise », mais aussi le droit international, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Une invitation à peine voilée à se tourner vers la justice internationale…

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Cela dit, la clause dérogatoire ne s’applique pas à certains droits garantis par la Charte, comme le droit de se présenter aux élections — raison pour laquelle la cour permet le port des symboles religieux pour les élus — et aussi le droit à l’instruction dans la langue maternelle pour les minorités linguistiques.

En faisait une interprétation large des droits linguistiques des minorités, le juge conclut que la langue est le support de la culture, de l’identité et… de la religion. Pour les anglophones du Québec et pour les francophones hors Québec, les commissions scolaires ont donc suffisamment d’autonomie pour embaucher des travailleurs qui portent des signes religieux.

Malheureusement, ce fonctionnement à deux vitesses n’améliorera pas le climat et la cohésion sociale au Québec. Au contraire, ce jugement risque d’accentuer le clivage entre le Montréal multiculturel et les régions plutôt « pure laine ».

Mais le débat reste ouvert puisque Québec en appellera de cette décision qui risque de monter jusqu’en Cour suprême. Et dire que la CAQ avait dit que l’utilisation de la clause dérogatoire empêcherait les contestations juridiques.

Manifestement, c’est raté.

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