On a l’impression de jouer dans un vieux film. On apprenait dans nos écrans samedi que la Formule 1 demande plus d’argent à nos divers ordres de gouvernement pour la tenue du Grand Prix du Canada le 13 juin et a lancé un ultimatum. L’organisation, qui porte le nom de Liberty Media, voulait une réponse le 12 avril. Lundi.

Cette réponse n’est pas venue. Tant mieux.

Nos dirigeants n’ont pas à foncer tête baissée comme des pilotes de Formule 1. Et on espère bien ne plus être à l’époque de Bernie Ecclestone, l’ancien patron de la F1, qui était maître du chantage. En 2003 et en 2009, ce dernier avait mis une pression folle pour obtenir plus, toujours plus.

On est aussi au début de la troisième vague de la pandémie de COVID-19 et il faut bien peser le pour et le contre avant de débloquer des fonds publics pour un évènement comme le Grand Prix. Surtout que la facture s’annonce salée et les revenus, eux, plus bas que jamais.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

L’épingle du circuit Gilles-Villeneuve, dans l’île Notre-Dame

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Habituellement, les gouvernements fédéral et provincial, la Ville de Montréal et Tourisme Montréal versent collectivement 18,7 millions en redevances pour la tenue de la course sur le circuit Gilles-Villeneuve, à Montréal.

De cette somme, seulement 8 millions reviennent dans les poches de l’État par les taxes et les impôts. Cependant, le week-end de la F1 a des retombées importantes pour le secteur touristique de Montréal. En 2015, ces dernières étaient estimées à 42,4 millions, soit juste un peu moins que le Festival de jazz. Et on attribue cette cagnotte presque entièrement aux touristes des États-Unis et du reste du Canada.

Où seront ces touristes qui dépensent en moyenne près de 1000 $ par personne pour un week-end de plaisir montréalais en juin cette année ? Fort probablement chez eux. Pas dans la rue Crescent.

On ignore de quoi auront l’air les mesures sanitaires dans trois mois et si nos voisins américains pourront traverser la frontière sans faire de quarantaine, mais pour le moment, ça s’annonce assez mal. Et on peut présumer que les Torontois ont mieux à faire que de fuir leur propre confinement pour venir tester le couvre-feu québécois. Donc, économiquement parlant, la tenue du Grand Prix en juin a peu de sens.

Et c’est là que Liberty Media en rajoute. Si l’évènement est tenu à huis clos — ce qui est fort envisageable —, l’entreprise demande une majoration de 6 millions des sommes versées. Cet argent servirait à couvrir les frais opérationnels pour la tenue de la course. Une belle grosse facture de plus de 24 millions pour les contribuables afin de soutenir un évènement qu’on ne verra qu’à la télévision. Pas très tentant.

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Mais il n’y a pas que l’argent. Pour le moment, la balle est dans le camp de la Santé publique, qui, autant à Ottawa qu’à Québec, doit décider du sort du Grand Prix. Les trois ordres de gouvernement disent qu’ils attendent leur avis avant d’avancer dans les négociations avec Liberty Media.

Et les questions auxquelles les experts en mesures sanitaires devront répondre sont multiples. Peut-on se permettre d’avoir des gens dans les gradins alors que la population du Québec sera encore en train de recevoir une première dose du vaccin ?

Et que dire des quelque 2000 personnes des diverses écuries qui sont impliquées dans la Formule 1 et qui se déplacent de ville en ville telle une grosse bulle sanitaire ? Pourront-ils débarquer à Montréal sans faire de quarantaine obligatoire ? Le 6 juin, une semaine avant la course montréalaise, ils seront à Bakou, en Azerbaïdjan.

L’an dernier, la Santé publique n’a pas donné le feu vert au plan sanitaire des organisateurs. Il faudra voir ce que ses experts statueront cette fois, mais l’exemple australien est peut-être parlant. Melbourne devait être la première destination de la F1 cette année, en mars, mais le renforcement des mesures sanitaires, incluant une quarantaine obligatoire, a mené au report de la course en novembre.

L’an dernier, Montréal espérait aussi la tenue du Grand Prix à l’automne, mais la pandémie en a voulu autrement.

Cette année, ce scénario semble plus plausible puisque la vaccination aura fait son œuvre. À ce moment, un grand évènement international serait une belle vitrine pour Montréal qui, espérons-le, sera en pleine relance.

Pour que ce report soit possible, il faudra trouver une date dans le calendrier de la F1, plus bondé que jamais cette année avec 23 courses, un record historique. Ça demandera de la flexibilité.

Bien sûr, il serait possible d’annuler la course, comme l’an dernier, mais à moins que la Santé publique ne le recommande, il est risqué de précipiter les choses puisqu’une telle décision pourrait avoir un impact à long terme sur le contrat qu’ont signé nos gouvernements avec la Formule 1 jusqu’en 2029. Il serait tout aussi insensé de se plier à toutes les demandes de Liberty Media.

Il est plutôt temps de demander à la Formule 1 d’être aussi accommodante qu’elle demande à nos gouvernements de l’être. Pour éviter l’eau dans le gaz, il faut en mettre dans son vin.

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