Depuis 2020, les villes doivent céder des terrains au gouvernement du Québec pour qu’il y installe ses écoles.

Au moment de l’adoption de cette loi, nous étions plusieurs maires à croire que la décision avait été prise sur un coin de table et que personne à Québec n’en avait évalué les conséquences. Nous avions raison.

Cette anomalie (tous les ministères du gouvernement du Québec paient pour leurs terrains) a des effets pervers très importants. Je vous en présente quelques exemples, puis je reviens sur certains principes de saine gestion bafoués par cette décision.

Otterburn Park

Le budget annuel de la Ville d’Otterburn Park est de 16 millions de dollars. La nouvelle loi l’oblige à acheter, probablement par expropriation, à desservir, puis à céder un terrain pour une école. La Ville estime que toute l’opération lui coûtera au bas mot 9 millions. En échange, la municipalité recevra, peut-être, un terrain d’une valeur de 1 million. Otterburn Park se retrouve à payer presque 20 % du projet d’école. Cette dépense équivaut à 204,06 $ par compte de taxes pendant 20 ans ! Est-ce que quelqu’un à Québec comprend que cette obligation de financer le ministère de l’Éducation affecte toute la planification financière de la Ville ? Détail : c’est en consultant un document destiné aux parents que la Ville a appris l’intention du centre de services scolaire de construire une nouvelle école.

Saint-Lin–Laurentides

Le budget total de la municipalité est de 27 millions. Elle vient de dépenser 7,6 millions pour le terrain d’une seule école primaire. À relativement court terme, une école secondaire et trois nouvelles écoles primaires devront être construites. Au total, ces projets nécessiteront des emprunts qui pourraient s’élever à 40 millions, emprunts qui feront doubler la dette de la Ville, une dette accumulée en 175 ans d’histoire !

Saint-Jean-sur-Richelieu

La Ville devra acquérir et céder des terrains d’écoles pour une valeur de 75 millions. Le financement des emprunts nécessaires coûtera 4,4 millions annuellement durant 40 ans. Le dossier des écoles à lui seul représente une hausse de taxes de 4 % pour les contribuables ! Pour assaisonner tout cela de ridicule, la Ville devra acheter un terrain à Hydro-Québec (le gouvernement du Québec) pour le céder au centre de services scolaire (le gouvernement du Québec).

Et les autres

Depuis 2020, 18 % des villes ont cédé un terrain au gouvernement du Québec ; la valeur moyenne des propriétés cédées est de 2,9 millions1. Laval évalue à 175 millions, Brossard à 100 millions et Montréal à 200 millions l’impact de cette loi sur leur budget d’ici quelques années.

Cette loi déstabilise considérablement les finances municipales, mais elle enfreint également un certain nombre de principes de saine gestion.

L’un dépense l’argent de l’autre

Les centres de services scolaires déterminent les besoins et ce sont les villes qui paient.

Les centres de services veulent le terrain parfait, à l’endroit idéal, ils refusent de construire en hauteur, etc. Facile, ce n’est pas eux qui paient.

N’importe quel conseiller financier vous dira que c’est une bonne recette pour faire faillite.

Sacrifier des parcs

Surtout dans les grandes villes, les terrains vacants sont rares et le besoin de nouvelles écoles s’exprime souvent dans des quartiers déjà bâtis. Les terrains sont donc extrêmement chers. Que font les villes ? Elles sacrifient des parcs : ce sont des terrains « vacants », moins chers que tous les autres, situés dans des secteurs déjà bâtis. C’est souvent la moins mauvaise décision. J’insiste sur mauvaise. Il y a présentement une bonne dizaine de cas où des villes se proposent de le faire.

La bonne taxe pour le bon service

L’impôt foncier n’est pas conçu pour financer l’éducation. Il n’est pas payé par tout le monde. Il est moins progressif que l’impôt sur le revenu. Il se transforme presque systématiquement en hausse de loyer. Il constitue un fardeau particulier pour les petits commerces et pour les aînés. Il est déjà insuffisant pour répondre aux besoins des villes. L’utiliser pour financer l’éducation est une erreur fiscale et sociale.

Pas de lien entre le problème et la solution

Le gouvernement veut « forcer » les centres de services scolaires et les municipalités à s’entendre. Cette loi fait l’inverse : les centres de services scolaires n’ont aucun encouragement à chercher des accommodements. De plus, elle transfère le fardeau d’achat des terrains à des municipalités qui n’ont pas plus d’argent que les commissions scolaires n’en avaient. Je me répète, mais la solution est simple : Québec devrait payer pour ses propres écoles (au lieu de faire des baisses d’impôts).

Il restera évidemment le vrai problème, celui de la planification commune entre les centres de services et les municipalités. Les uns doivent mieux définir leurs besoins, les autres doivent systématiquement et rapidement prévoir des emplacements pour de futures écoles. Au lieu de faire cela, ils s’affrontent à propos des terrains. C’est ce qui arrive quand on prend des décisions sur un coin de table.

1. Lisez l’article d’Hugo Pilon-Larose dans La Presse