C’est indéniable : nous faisons face à une crise du logement sans précédent. Elle sévit au moment même où survient un ralentissement marqué des mises en chantier provoqué par l’inflation et une hausse spectaculaire des taux d’intérêt en très peu de temps.

Cette crise du logement affecte toute la société : les plus vulnérables, les immigrants que nous tentons d’attirer afin de contrer la pénurie de main-d’œuvre, les familles et notre jeunesse, incapables de faire face aux coûts élevés du logement ou d’amasser la mise de fonds nécessaire en vue d’un achat que les taux hypothécaires actuels rendent de moins en moins probable. En résumé, le Québec n’arrive plus à mettre un toit sur la tête d’un nombre incalculable de ses concitoyens.

On l’a dit et redit : il est urgent d’accélérer les mises en chantier, particulièrement dans les grands centres, à proximité des équipements de transports collectifs existants ou en voie de développement.

La densité est un des moyens les plus évidents pour tenter de répondre aux besoins en habitation et de protéger l’abordabilité.

Au-delà de la complexité des processus d’approbation des projets et de tout ce que nous pourrions nommer qui affecte les mises en chantier au point d’empêcher la réalisation de cette densité intelligente, il y a un éléphant dans la pièce qu’on n’ose pas aborder : le phénomène du « pas dans ma cour ».

Aujourd’hui, bon nombre de citoyens se déclarent en faveur de la densité. Tout le monde s’indigne contre la crise du logement, sauf… quand les projets qui peuvent la contrer sont appelés à se construire dans leur cour. Là, c’est une tout autre histoire !

L’intérêt individuel prime alors sur l’intérêt collectif. Et au milieu de crises de toutes sortes qui surgissent, les titulaires de charges publiques ont désormais la responsabilité de départager les deux.

Il est important de reconnaître l’urgence d’agir, d’énoncer une volonté très claire de densifier, de produire de nouvelles unités d’habitation et de saisir les occasions de développement, particulièrement dans les zones desservies par les transports en commun.

L’idée n’est pas de construire n’importe quoi, bien au contraire. Si on se concentre sur la façon de rendre la densité acceptable plutôt que de la refuser d’emblée, on se met en mode solution plutôt que de s’entêter dans un statu quo qui sert les seuls intérêts d’une minorité. Il ne s’agit plus de déterminer SI de nouveaux logements devraient être créés, mais bien COMMENT.

Le Québec et ses municipalités déclarent l’habitation comme une priorité. Chacun doit alors agir en conséquence. Nous avons tous un rôle à jouer. Y compris l’entreprise privée.

Une étude publiée par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain indique qu’il faut y construire 23 100 nouveaux logements par année pour répondre aux besoins de la population. C’est près du double de la production annuelle historique pour la grande région métropolitaine. Quelles sont les prévisions du gouvernement du Québec et des municipalités ? Quels sont la vision et les plans à court, moyen et long termes pour loger les Québécois et les nouveaux arrivants que nous souhaitons accueillir ? Les élus doivent fixer des cibles ambitieuses et déployer un mécanisme permettant d’en suivre l’atteinte. De plus, il faut établir des objectifs précis assortis d’une planification cohérente en termes de législations, d’infrastructures, de services à la population et de financement.

Les municipalités doivent pour leur part démontrer une détermination constante à autoriser des projets d’envergure qui favorisent la densité en milieu urbain ou à proximité de zones dédiées aux transports en commun, en plus de contrer le phénomène du « pas dans ma cour ». Bien sûr, la consultation demeure essentielle, mais elle doit cesser d’être un outil qui sert l’intérêt de quelques individus au détriment du bien collectif.

En revanche, les développeurs ont la responsabilité de tenir compte du contexte, de la réalité du milieu et des enjeux des parties prenantes tout en demeurant à l’écoute, en collaborant avec ouverture et en acceptant certains compromis. La consultation ne peut être un outil dont la seule utilité est de s’opposer ou d’exiger qu’un projet pallie à lui seul l’ensemble des besoins non comblés par les différents ordres de gouvernement : itinérance, toxicomanie, art et culture, éducation, infrastructures, etc.

Il est possible d’atteindre cet équilibre entre citoyens, villes et développeurs. Il existe des exemples où les parties concernées ont choisi de collaborer plutôt que de traiter les enjeux de façon successive et en vase clos. Il faut qu’un climat de confiance s’installe, que les intentions, les contraintes et les appréhensions soient partagées. Il faut se donner de l’espace pour argumenter, évaluer des options, bonifier le projet et faire des choix reflétant une vision commune.

Je suis bien consciente que le phénomène du « pas dans ma cour » demeure un sujet sensible. Surtout lorsque c’est un développeur qui l’aborde. Mais je pense qu’il faut avoir le courage de faire face à cette question si on veut collectivement trouver des solutions viables. Et ce, au bénéfice du plus grand nombre.