(Toronto) Lorsque Bob Dugan se penche sur l’avenir du marché de l’habitation au Canada, il ne voit pas le portrait teinté de rose auquel beaucoup aspirent.

« Je crains en fait que l’abordabilité ne se détériore au lieu de s’améliorer, à moins que nous ne puissions y remédier », a affirmé vendredi l’économiste en chef de la Société canadienne d’hypothèques et de logement à La Presse Canadienne.

L’Assocation canadienne de l’immobilier a indiqué jeudi que le prix national moyen réel des maisons s’était établi à 729 044 $ en mai, en hausse de 3,2 % par rapport à l’année précédente, tandis que le prix moyen désaisonnalisé des maisons avait atteint 715 290 $, en hausse de 2,7 % par rapport à avril. La moyenne dépassait 1 million dans la région du Grand Toronto et dans plusieurs parties de la Colombie-Britannique.

Les sentiments de M. Dugan en ce qui a trait au recul de l’abordabilité couvent au sein de l’agence fédérale du logement depuis un certain temps, ce qui l’a incitée à tirer la sonnette d’alarme l’été dernier, lorsqu’elle a révélé que le pays devait construire 3,5 millions de maisons de plus que prévu d’ici 2030, pour atteindre un minimum d’abordabilité.

Un an plus tard, la situation ne s’améliore pas. Quelque 271 000 logements ont été construits il y a deux ans et environ 260 000 autres l’année dernière, a souligné M. Dugan.

La cadence annuelle des mises en chantier – une mesure du début de la construction de maisons et un indicateur clé de la façon dont le Canada comble les lacunes de l’offre de logements – a reculé de 23 % en mai par rapport à avril, tandis que les mises en chantier d’appartements, de copropriétés et d’autres types de logements collectifs ont diminué à Vancouver, Toronto et Montréal.

M. Dugan calcule maintenant qu’entre 210 000 et 220 000 logements seront construits cette année.

J’espère que mes prévisions sont erronées, mais vu la situation actuelle, je ne suis pas optimiste par rapport à l’idée que nous soyons sur la bonne voie pour doubler le rythme des mises en chantier.

Bob Dugan, économiste en chef de la Société canadienne d’hypothèques et de logement

Les mises en chantier ne sont pas moins actives en raison d’un manque d’intérêt ou d’une faible demande pour la construction, mais plutôt en raison des pénuries de main-d’œuvre, des hausses des taux d’intérêt et des coûts plus élevés des matériaux, ainsi que des problèmes de zonage et du syndrome du « pas dans ma cour », qui fait référence aux personnes qui s’opposent à ce que certains projets voient le jour dans leur quartier, mais pas dans d’autres régions.

Pourtant, la SCHL estime qu’il n’est pas impossible de résoudre le problème de l’abordabilité. Il faudra simplement que de nombreuses parties agissent de concert.

« Il n’y a pas une seule solution. Il n’y a pas une seule institution ou un seul ordre de gouvernement ou organisation qui puissent régler le problème », a fait valoir la cheffe de la direction de la SCHL, Romy Bowers, dans la même discussion que M. Dugan.

« Cela [implique] vraiment tout le Canada, une réponse dans laquelle tout le monde met la main à la pâte. »

Soutien aux logements locatifs

L’élément vedette de la réponse doit être l’approvisionnement, assurent Mme Bowers et M. Dugan.

Au sommet de la liste de souhaits de Mme Bowers se trouve un effort plus concerté pour remédier au manque de logements construits pour la location.

Elle compte environ 4,5 millions de ces logements et, bien que le Canada ait connu une légère hausse ces dernières années, la plupart de ces logements sont « super vieux », car ils ont été principalement construits dans les années 1960, 1970 et 1980.

Mais la demande pour ces logements est importante avec l’augmentation de l’immigration – la population du Canada a atteint 40 millions vendredi – et beaucoup veulent simplement un toit au-dessus de leur tête.

« Mais parce que nous n’avons pas investi dans les logements construits pour la location, il n’y a tout simplement pas une offre assez importante pour répondre à la demande », a déploré Mme Bowers.

La SCHL a tenté de stimuler davantage ces unités avec une initiative de financement de la construction locative, qui fournit un financement à faible coût aux emprunteurs pendant les phases les plus risquées de la construction d’appartements locatifs.

Mais les logements locatifs peuvent être des projets à long terme. À Toronto, il peut s’écouler jusqu’à huit ans et demi pour en construire un de la conception à l’emménagement. De nombreux constructeurs veulent simplement bâtir quelque chose, le vendre et passer à autre chose, ils sont donc moins motivés à construire ces propriétés.

La SCHL estime qu’un plus grand nombre de logements locatifs pourraient être construits si tous les palliers de gouvernement collaboraient pour trouver des solutions.

Sans cette collaboration, le pays compose avec deux crises du logement, a estimé Mme Bowers : l’une où les personnes les plus vulnérables font face à une situation socioéconomique désastreuse, l’autre où la classe moyenne est également en difficulté sur le marché immobilier.

La densité devrait être favorisée

Bien que chacun puisse être aidé par l’offre, un changement d’attitude pourrait également être nécessaire.

« Nous avons cette idée que le succès signifie avoir sa propre maison de quatre chambres, deux étages avec une cour et ce genre de choses », a observé M. Dugan. « Je pense que nous devons nous éloigner de cela dans les grandes villes. »

Bien que la densité soit souvent vilipendée, elle a joué un rôle crucial dans la fourniture de logements pour plusieurs autres grandes villes comme Hong Kong et Londres.

Pour que le Canada reproduise cela, les gens devraient surmonter leur « pas dans ma cour », et les promoteurs devraient construire de plus grands immeubles de copropriétés où les gens sentent qu’ils ont la possibilité d’élever des enfants ou d’avoir de l’espace pour les loisirs et les visiteurs, a poursuivi M. Dugan.

Mais dans quelle mesure la SCHL a-t-elle bon espoir que le Canada pourra réaliser tout cela ?

Mme Bowers estime que les défis auxquels nous faisons face peuvent être résolus. M. Dugan convient qu’il faudra mettre des mesures en place.

« Les crises conduisent souvent à l’innovation et à de nouvelles façons de faire les choses, et je pense donc que j’ai bon espoir que nous trouverons différentes sortes de solutions pour construire plus efficacement », a-t-il affirmé.

« Nous allons améliorer la situation, mais il est difficile d’intégrer cela dans les prévisions lorsqu’on ne sait pas quand cela va se produire, ou quelle sera cette innovation. »