J’ai passé trois merveilleuses années à étudier la sociologie à l’Université Laval. Notre collection de joyeux lurons de socio de l’époque incluait deux femmes que nous appelions affectueusement « les mémés », surnom qu’elles n’avaient pas renié évidemment. Deux filles de la Beauce, âgées d’à peu près une dizaine d’années de plus que nous, les garçons.

Des femmes qui avaient décidé d’améliorer leur existence en retournant à l’école. Du caractère.

Nous nous sommes revus dans les derniers mois, souper retrouvailles. Pour tous, des carrières dans les services sociaux et l’enseignement. Dans mon cas, moins sérieux, je suis devenu politicien…

À part l’enveloppe qui, pour nous tous, a pris du mou, les mémés n’ont pas changé. Des Beauceronnes authentiques : frondeuses, assez langues sales, et drôles comme des inventions.

Une des deux venait de mettre un autre homme à la porte. Il l’énervait. Ils l’énervent tous, et depuis toujours. « Au suivant ! », comme le chantait Jacques Brel.

L’autre, la quintessence de la militante.

Féministe, humaniste, séparatiste pas étapiste, « iste » en tout. Un méchant personnage ! À l’époque, lorsqu’elle différait d’opinion avec les profs, elle allait les rejoindre sur la tribune pour argumenter. Le show que ça donnait ! Lénine au podium. On en braillait !

Des brillantes, et adorables, au deuxième regard, parce qu’au premier, fendantes comme leur région.

Je vous en parle parce qu’elles ont été importantes dans nos vies, pour nous, les gars. Elles nous ont mis à leurs mains, les patronnes, nous ont forgés pour la vie sur nos relations avec les femmes.

Nous, blancs-becs, gardiens de nos certitudes, beaux parleurs et d’adon, mais concernant les femmes, probablement trop souvent les fils de nos pères. Même si nous étions convaincus du contraire.

Le genre à raconter nos fins de semaine aux mémés, le lundi matin. Nos petits exploits, pensions-nous, avec l’autre sexe. Ou, éventuellement, nos introspections en la matière, nos expériences qui tournaient en eaux de boudin, où nous nous ramassions la queue entre les deux jambes…

Les mémés écoutaient attentivement, respectueusement plutôt, parce que du déjà-entendu pour elles, puis nous décrivaient nos maladresses, notre inexpérience et notre méconnaissance des femmes.

Elles nous raplombaient les idées, en fait. Elles étaient de bonnes épaules, mais on avait affaire à comprendre rapidement.

Bien magnanimes avec les jouvenceaux, mais intraitables sur le fond : la place égale et équitable des femmes dans la société. Au moindre manquement sur le sujet, on se faisait ramasser comme des gringalets. Paf ! Un autre coup de pied au cul du p’tit monsieur ! Elles devaient nous élever, par amour, comme elles le répétaient, et le plus tôt sera le mieux.

On avait avantage à lire et relire Ainsi soit-elle, de Benoîte Groulx. Si certains collègues de socio aimaient tout interpréter avec une grille marxiste, et devaient ainsi connaître chaque verset du Capital, nos propos et nos travaux, à nous, étaient tamisés et disséqués autrement.

Pour les mémés, trois ans d’études au bac ne seraient pas de trop.

Aparté, parlant de Marx. Quand j’habitais chez mes parents, mon père, un jour, a réparé ce qui me servait de pupitre. Sur celui-ci, traînaient deux livres : Le manifeste du Parti communiste et L’idéologie allemande de Friedrich Engels et Karl Marx. Lectures imposées dans mes cours.

Imaginez la réaction d’un paternel à la vue des bouquins. Un catholique pratiquant, n’ayant pas terminé son primaire. Ça débordait, comme les crues de la rivière Chaudière au royaume des mémés. Pour lui, son fils, devenu communiste, avait tout d’un terroriste.

La renaissance du FLQ, dans sa propre maison !

Régis Rose !

Je pars d’où, pour lui expliquer qu’il ne doit pas appeler immédiatement la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de l’époque ? Une blague, évidemment. Mais vous dire comment il était désemparé, et déçu.

Pauvre lui ! Simple mécano, il n’aura jamais compris ce qu’était la sociologie. Il aurait tellement rêvé que je devienne ingénieur, mécanique de préférence, il va sans dire, pour leur en montrer, à ses patrons, les jars !

Maire de Québec, c’était pas pire pour Maurice, mais ingénieur… Moi qui ai besoin d’assistance pour changer une ampoule.

Revenant aux mémés, nous avons appris aussi à éviter les bravades sur les questions de sexe devant elles, parce qu’on se faisait ramasser aller-retour.

« Et vous pensez faire plaisir aux petites filles de cette façon-là ? Espèces de rotoculteurs, apprentis, la planète des singes ! » On prenait un gros 10 minutes pour mauvaise conduite. Des jours la patte en l’air, à s’en remettre…

Je vous en parle parce que je nous trouve bénis d’avoir rencontré ces deux femmes sur notre chemin. Je présume que nous avions un bon fond, pour qu’elles décident d’y investir des efforts.

Je veux leur dire qu’elles ont fait de nous, quelques gamins, de meilleures personnes, mais surtout, je crois, de bien meilleurs mâles.

Merci, les baronnes beauceronnes !

On vous adore !

Entre nous

Indéniablement, une belle job du gouvernement du Québec dans la gestion des incendies de forêt au Québec. Et félicitations aux maires pour leur travail sur le terrain, remarquable ! Une salutation spéciale à la mairesse de Chibougamau, Manon Cyr, dont j’admire l’implication depuis longtemps. Chapeau, chère Manon !