Comme plusieurs autres lecteurs de La Presse, je l’espère, j’ai été secouée par la récente enquête de Tristan Péloquin sur les ravages de la pornographie⁠1. Je ne suis pourtant pas née de la dernière pluie. Je suis mère de deux jeunes adultes et je travaille depuis des années sur l’enjeu de l’accès des mineurs à la pornographie, un projet qui m’a amenée à visionner quantité de contenus pornos et à éplucher plusieurs rapports détaillés sur le sujet.

Et pourtant, les reportages crus de M. Péloquin m’ont ébranlée. J’ai découvert avec horreur l’effet pervers (c’est le cas de le dire) des algorithmes sur la popularité des contenus violents et dégradants. J’ai appris avec surprise que la pornographie est à peu près absente des cours d’éducation à la sexualité. J’ai lu avec scepticisme les déclarations de producteurs de porno qui se disent ouverts à limiter l’accès des enfants à la pornographie… pourvu que rien ne freine leur industrie.

Un problème grave, des solutions simples

L’omniprésence de la pornographie sur l’internet est liée à de multiples problèmes bien documentés : dépendance, difficulté à former des relations amoureuses, stéréotypes faussés, attentes irréalistes, comportements violents, faible estime de soi, pratiques dangereuses, vision déformée des rapports sexuels, dont les jeunes femmes sont souvent les premières victimes. Il n’y a malheureusement pas de remède unique à tous ces enjeux. Mais des solutions concrètes et réalistes existent.

Il n’est pas question d’interdire l’accès des adultes à la pornographie, mais les gouvernements ne sont pas contraints de demeurer passifs face à cette crise de santé publique.

La thérapie peut aider certaines personnes. Les gouvernements peuvent mener des campagnes de sensibilisation. Par ailleurs, certains producteurs de porno réclament eux-mêmes que leurs contenus soient exclusivement payants. Si le gouvernement fixe un prix minimum pour la bière, devrait-il aussi l’envisager pour l’accès à la pornographie ?

Protéger les enfants

On pourra débattre longtemps de ses impacts sur les adultes, mais une chose devrait être claire pour tous : la pornographie n’a jamais été destinée aux enfants et les mineurs ne devraient pas y avoir accès. Or, c’est tout le contraire aujourd’hui.

Est-il possible de s’attaquer efficacement au problème ? Certainement. Depuis plusieurs années, l’Allemagne oblige les sites pornos à vérifier efficacement l’âge de leurs utilisateurs. La France fait de même. Dans quelques semaines, l’Angleterre emboîtera le pas. Des États américains – dont la Louisiane et la Californie – s’engagent aussi dans cette voie. Des sondages en Australie et en Angleterre indiquent que ces mesures ont l’appui de 80 % du public.

Au Canada, j’ai présenté le projet de loi S-210, qui obligerait les sites pornographiques à vérifier l’âge de leurs utilisateurs et à bloquer l’accès aux mineurs.

Le projet de loi ne repose pas sur une méthode particulière (l’Allemagne en a approuvé près de 80), mais il s’assure que les techniques de vérification de l’âge approuvées soient efficaces et qu’elles respectent la vie privée.

Certains s’inquiètent que les jeunes contournent ces mesures, grâce aux VPN et autres technologies. Aucune loi n’est parfaite, bien sûr. Mais, comme l’explique l’expert britannique John Carr : « C’est un mythe pratique de croire que tous les jeunes sont des internautes hyperbranchés qui connaissent tous les trucs techniques et qu’ils cherchent à briser toutes les règles et à franchir tous les obstacles. Les études démontrent le contraire et suggèrent que, dans les faits, la plupart des jeunes ne savent pas contourner la majorité des mesures de sécurité et que, même parmi ceux qui en sont capables, seul un petit pourcentage (6 %) le fait. »

Le projet de loi S-210 a été adopté par le Sénat en avril. Il est maintenant à la Chambre des communes, porté par la députée ontarienne Karen Vecchio.

Un silence assourdissant au Québec

Malheureusement, ces enjeux – qui n’ont rien de partisan – suscitent peu d’intérêt au Québec, alors même que c’est chez nous que se trouve MindGeek (opérateur de Pornhub), la plus grande entreprise de pornographie en ligne au monde. Que pensent les députés libéraux Pablo Rodriguez, Steven Guilbeault, Mélanie Joly, Rachel Bendayan, Anthony Housefather, Soraya Martinez Ferrada, Jean-Yves Duclos et leur chef Justin Trudeau du projet de loi S-210 ? Est-ce que les bloquistes Martin Champoux, Louise Chabot, Jean-Denis Garon, Marie-Hélène Gaudreau, Kristina Michaud, Marylène Gill et leur chef Yves-François Blanchet l’appuieront ? A-t-on entendu les députés Gérard Deltell, Pierre Paul-Hus et Dominique Vien en faire la promotion ? Est-ce qu’Alexandre Boulerice a pris position ?

Tristan Péloquin a fait son travail. De multiples rapports ont détaillé les enjeux et les solutions. D’autres territoires passent à l’action. La balle est désormais dans le camp politique. Nos députés auront-ils, et elles, le courage d’agir pour protéger la santé physique, psychologique et sexuelle de nos jeunes ?

1. Lisez l’enquête de Tristan Péloquin sur la pornographie : « Pornographie : une sorte d’éducation au viol » 1. Lisez « Accès à la pornographie : une question de santé publique » 1. Lisez « MindGeek : du sexe et des jeux » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion