La transition énergétique est un enjeu planétaire. Les gaz à effet de serre (GES) n’ont pas de frontières. N’en ont pas davantage les bénéfices des découvertes en matière de réduction des GES et de technologies vertes. Certes, il y a des gains privés et nationaux associés à l’industrie de la décarbonation, mais l’urgence de cette transition appelle à une action concertée entre les États plutôt qu’à une concurrence débridée de subventions pour attirer les entreprises vertes.

Comprenons-nous bien : si l’industrialisation a permis une formidable hausse du niveau de vie, elle s’est traduite par d’importants changements climatiques. Et le marché seul ne peut corriger les dégâts. Des interventions gouvernementales, comme ces subventions, s’avèrent nécessaires pour y parvenir. Cependant, à l’exception des États-Unis et de l’Europe, des États de très grande taille, la plupart des États se verront bientôt contraints dans leurs interventions par leurs capacités financières et auront avantage à collaborer plutôt que de se faire compétition, d’autant plus que les sommes en cause seront colossales.

C’est dans cet esprit que j’ai récemment proposé qu’une entente-cadre entre le Québec et la France sur la transition énergétique soit envisagée1.

L’Alliance des patronats francophones représente 28 pays qui comptent pour 16 % du PIB mondial, 20 % du commerce international et 14 % des ressources énergétiques mondiales. Il serait donc naturel de proposer une entente qui s’appliquerait à l’ensemble des pays membres de l’Alliance. Mais négocier une telle entente s’avérerait trop complexe et trop long dans le contexte de l’urgence climatique.

Le train des politiques industrielles de la décarbonation et des énergies renouvelables, c’est maintenant qu’il faut le prendre. La planète l’impose. Mais heureusement, il existe une solution à portée de main.

En effet, l’Alliance pourrait devenir le fer de lance pour faire de la Francophonie un espace économique de transition énergétique en créant une plateforme intelligente numérique à l’usage de ses membres actuels et futurs. Cette plateforme jouerait un rôle déterminant dans le succès de la transition énergétique en facilitant la fluidité des matières et des minéraux dans les chaînes d’approvisionnement, la diffusion rapide des technologies vertes et l’adoption généralisée des meilleures pratiques d’affaires en décarbonation. Elle procurerait une visibilité accrue à ses membres et leur offrirait un accès direct aux données de marchés et de subventions gouvernementales liées aux énergies vertes.

La première composante d’une telle plateforme serait la cartographie de la situation stratégique des membres de l’Alliance eu égard à la demande et l’offre des industries de la décarbonation et des énergies renouvelables. Du côté de la décarbonation, on pense aux filières comme la mesure de l’empreinte carbone, la récupération de la chaleur, la modification du mix de matières, les équipements physiques et les outils numériques de grande efficacité énergétique, le captage, la valorisation et le stockage du carbone. Du côté des énergies renouvelables, on trouve les filières de l’énergie éolienne, de l’énergie solaire, de la biomasse, de l’énergie hydraulique, de la géothermie et de l’hydrogène vert.

Cette cartographie serait assortie d’un répertoire des subventions offertes par les différents pays pour accélérer la décarbonation, le développement et l’adoption des énergies renouvelables.

La deuxième composante de la plateforme permettrait aux membres de réaliser des projets d’échanges, de partenariats et d’investissements. C’est ici que la révolution numérique vient appuyer la transition énergétique. Cette plateforme serait dotée d’un progiciel analytique, incluant un algorithme d’intelligence artificielle et d’interfaces de programmation (API), pour dépister les occasions d’affaires entre membres selon leur situation stratégique dans les différentes filières de la décarbonation et des énergies renouvelables.

Cette analyse « automatisée » du potentiel d’échanges, de partenariats et d’investissements constituerait le point de départ de discussions entre les membres.

Les deux composantes de la plateforme nécessitent une pile (un « stack ») technologique adaptée à ses besoins spécifiques. Les grands fonds d’investissement privés utilisent déjà ce type de plateformes numériques. Cette « pile » technologique comprend généralement des logiciels de gestion des contenus, de recherche de partenaires, d’examens diligents, des expertises, des projets et d’une place de marché pour les transactions.

Vous constaterez sans doute que je me suis inspiré des recommandations de la rencontre internationale de la Francophonie économique dans le cadre du Forum mondial de la langue française tenu à Québec en juillet 2012. L’une d’entre elles proposait explicitement de « développer un espace numérique francophone des affaires au service des acteurs économiques ».

L’implantation d’une telle plateforme exigerait la création d’un groupe de travail de l’Alliance appuyé d’experts en énergie et en technologies numériques. Son mandat serait de préciser le plan d’affaires et les budgets de construction et de fonctionnement de la plateforme en déterminant les sources de financement requises pour en assurer la pérennité.

Ce groupe de travail devrait s’adjoindre les principaux acteurs privés et publics déjà engagés dans le développement durable, entre autres, l’Institut de la Francophonie pour le développement durable.

Enfin, le groupe de travail devrait tenir compte de la spécificité de tous les acteurs et pays participants, dont la capacité de payer et le niveau d’infrastructures numériques sont très variables.

Les conditions de succès d’un tel projet sont maintenant réunies. D’abord parce que la transition énergétique est un enjeu prioritaire pour les États et les entreprises, qui y consacrent d’immenses ressources. Ensuite, parce que l’urgence de la transition énergétique a créé une industrie lucrative pour les entreprises impliquées. Ajoutons enfin que le coût de la construction d’une plateforme numérique a substantiellement diminué depuis 10 ans et que les plateformes numériques ont clairement démontré leurs avantages économiques.

Créer cette plateforme ferait de la Francophonie un leader de la transition énergétique.

Il faut saisir cette occasion.

* Ce texte est un résumé d’une intervention de Henri-Paul Rousseau, le 12 juin, lors de la Rencontre des entrepreneurs francophones, organisée par l’Alliance des patronats francophones, Québec

1. Lisez Transition énergétique : pour une entente-cadre France/Québec Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion