À l’exception de la période consacrée à reconstruire les pays dévastés par la dernière guerre mondiale, les politiques gouvernementales de développement industriel et d’innovation ont visé principalement la création de jeunes pousses (start-ups).

Il est mal vu d’aider une entreprise qui va bien à devenir meilleure et l’expérience a démontré que l’État n’est pas très habile à choisir le secteur qui gagnera la course de l’innovation, pas plus que les champions de ce secteur ! Quel ministre aurait pu justifier de subventionner une entreprise ayant pour ambition de consolider le secteur des « dépanneurs » comme l’a fait Couche-Tard ? Une preuve de plus de l’efficacité d’une politique transsectorielle, comme le Régime d’épargne actions (REA), qui a indéniablement contribué à financer la croissance de ce succès mondial ! Il y a des cas, bien sûr, où l’État soutient directement un secteur industriel, comme la défense aux États-Unis, ou l’aéronautique au Brésil et en Europe, mais ces politiques sont demeurées l’exception et non la règle dans les pays occidentaux.

Or l’urgence climatique a tout changé ! Cette approche traditionnelle a été bousculée par des politiques industrielles et d’innovation faisant preuve d’un volontarisme étatique vigoureux et d’un appétit pour le risque inégalés en temps de paix.

Aux États-Unis, l’Inflation Reduction Act a créé une onde de choc, qui a incité les dirigeants en France, au Royaume-Uni, au Canada et ailleurs dans le monde à changer radicalement leur approche.

Les États n’ont plus à choisir un secteur, l’urgence climatique l’impose : c’est celui de la transition énergétique.

Les États n’ont plus à hésiter sur les budgets à y consacrer, car les États-Unis, pays capitaliste par excellence, a vu le Congrès adopter en août 2022 un plan de mesures fiscales et financières de plus de 500 milliards de dollars, dont 400 milliards consacrés à la transition énergétique. Ce plan réduit le risque des entreprises privées travaillant à la transition énergétique, et augmente le rendement escompté. La grande majorité des fonds est destinée aux producteurs et aux distributeurs d’électricité renouvelable, aux utilisateurs de moyens de transport électriques et aux manufacturiers plus verts ainsi qu’aux entreprises agricoles plus écologiques. La loi vise une réduction des GES de 31 à 44 % dans la prochaine décennie, plutôt que celle prévue initialement de 24 à 35 %.

Cette nouvelle politique de développement industriel très interventionniste a forcé les autres États occidentaux à réagir. Ils sont immédiatement entrés en concurrence pour attirer, retenir et favoriser la croissance des entreprises au cœur de la transition énergétique. La récente subvention de 13 milliards de dollars accordée par le gouvernement du Canada à Volkswagen pour la convaincre d’installer en Ontario plutôt qu’aux États-Unis son usine de batteries en est un exemple éloquent.

Pour une action concertée

Or la lutte contre les changements climatiques est un enjeu global et non local, car les GES n’ont pas de frontières. N’ont pas plus de frontières les bénéfices des découvertes en matière de réduction des GES et de technologies vertes, quel que soit leur pays d’origine. Évidemment, il y a des gains privés et nationaux associés à l’industrie de la décarbonation, mais sa nature même et les défis de la transition énergétique devraient favoriser une action concertée entre les États plutôt qu’une concurrence débridée pour accorder la subvention la plus importante.

Tous les États bénéficieraient de cette coopération internationale. C’est dans cet esprit qu’une entente-cadre entre le Québec et la France sur la transition énergétique doit être sérieusement envisagée. Les deux États ont déjà l’expérience de plusieurs ententes-cadres et comme ils ont des atouts et des problématiques différents dans les domaines de l’énergie et de la décarbonation, ils ont des expertises et des expériences complémentaires. La France est dans une situation de rareté énergétique alors que le Québec jouit d’une abondance énergétique relative ; la France doit combler rapidement son déficit en énergie verte et a déjà implanté de nombreuses initiatives de décarbonation, alors que le Québec est en retard à cet égard.

De plus, les entreprises françaises pourraient profiter du positionnement géographique et commercial du Québec en Amérique du Nord, tout comme les entreprises québécoises le feraient en Europe.

Cette concurrence entre les États visant à subventionner la décarbonation rapide devrait leur être favorable.

Cette entente devrait couvrir les secteurs de la recherche fondamentale et appliquée réalisée dans nos universités et nos entreprises et prévoir des programmes d’échange d’experts et de spécialistes de l’énergie verte, de la décarbonation, de l’usage de l’intelligence artificielle, du numérique et de la science des données dans la transition énergétique. Nos institutions publiques et privées, de même que nos villes, seraient invitées à créer un écosystème commun pour accélérer les innovations technologiques et identifier les politiques favorables à une transition réussie et inclusive. On pourrait même envisager un nouveau modèle de propriété des entreprises privées-publiques-binationales !

Cela permettrait le partage des risques et des rendements associés aux projets d’envergure dans les énergies renouvelables ou aux investissements en décarbonation.

J’espère que nos gouvernements respectifs s’empareront de cette idée et la feront leur, car je crois qu’elle est porteuse d’avenir pour la nécessaire et urgente transition énergétique.

* Ce texte est un résumé d’une intervention à la conférence en l’honneur de Philippe Aghion entourant la remise d’un doctorat honoris causa par l’UQAM sur les fondements et les incidences économiques de l’innovation, le 4 mai dernier à Montréal.

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