J’ai toujours un malaise à voir des gens s’extasier devant le faste, les beaux habits, les contes de fées et les potins associés à la monarchie canadienne. La monarchie, c’est quelque chose de très sérieux. C’est une institution qui a une lourde histoire et qui porte des valeurs qui ne sont pas les nôtres. Nous ne devrions pas la célébrer.

Petite note : j’écris monarchie « canadienne » et non pas « britannique », car je ne veux pas laisser entendre qu’on parle de quelque chose de lointain, de quelque chose qui ne nous concerne pas. Charles III est le roi du Canada.

Donc, oui, la monarchie, c’est sérieux et c’est chez nous. Parlons-en.

Nous pourrions analyser les dépenses inutiles qu’elle engendre, on pourrait s’y vautrer allègrement, mais concentrons-nous sur l’iceberg plutôt que sur sa pointe.

La monarchie britannique a été à la tête de la plus vaste opération coloniale de toute l’histoire de l’humanité. En Inde, en Afrique, en Chine, en Amérique, les victimes de l’impérialisme monarchique sont légion.

En Inde, des millions de personnes sont mortes de faim parce que le Royaume-Uni s’appropriait le blé local. La Couronne a fait deux guerres à la Chine pour forcer les Chinois à consommer son opium à elle. En Afrique, les armées de Sa Majesté ont abattu des royaumes entiers.

En Amérique, les monarques anglais ont endossé l’extermination de peuples autochtones, et ce, par tous les moyens. La guerre de la Conquête, d’une violence exceptionnelle pour l’époque, fut l’une des premières « guerres totales » contemporaines : bombardement de civils, politique de la terre brûlée (sur les deux rives du Saint-Laurent) – des abus qui laisseront la Nouvelle-France exsangue. Fred Anderson, le grand historien américain, a qualifié la déportation des Acadiens de première opération de « nettoyage ethnique » de l’histoire moderne.

Grâce à la brutalité de ses royales armées, la famille Windsor s’est inscrite très haut dans le palmarès des familles massacreuses de peuples.

Autre angle d’analyse : d’où vient cette fortune indécente⁠1 qui permet à notre roi d’éblouir le monde ?

Selon l’économiste indien Utsa Patnaik, entre 1765 et 1938, les Britanniques auraient soutiré au moins 45 000 milliards de dollars au sous-continent indien. Ce calcul du pillage colonial ne concerne que les Indes… Cela explique assez facilement les 3 milliards de dollars que possède maintenant Charles III (notamment sa collection personnelle de timbres d’une valeur de 168 millions).

Alors qu’elle partait à la conquête du monde, la famille royale procédait également à des investissements dans le commerce des esclaves, commerce auquel elle devrait une partie de sa richesse actuelle (à sa défense, Charles III a accepté d’ouvrir les archives royales à ce sujet). Autre bel héritage.

Évidemment, tous les revenus royaux sont libres d’impôts, y compris ceux qui proviennent des 239 millions investis à la Bourse par le nouveau roi.

Si l’histoire de la famille royale est riche en exactions qu’il faut dénoncer, la royauté symbolise aussi des valeurs qui ne méritent pas non plus nos hommages. En voici quelques exemples.

Pour choisir le monarque, pas de méritocratie, pas de démocratie, on devient chef d’État parce qu’on est né dans la bonne famille. L’institution monarchique perpétue ainsi l’idée que toutes les personnes ne sont pas égales, que certaines sont intrinsèquement supérieures à d’autres par leur naissance ou, autrement dit, grâce à leur sang bleu. Idée toxique s’il en est une.

Il faut donc naître dans la bonne famille, mais il faut également choisir la bonne religion. Si l’héritier de la reine Élisabeth avait été catholique, bouddhiste ou encore athée, le trône lui aurait été interdit. En effet, en plus d’être roi de 14 royaumes, notre chef d’État est aussi chef de l’Église anglicane, le roi doit donc être anglican pour pouvoir régner.

De nos jours, si le pouvoir du roi est essentiellement protocolaire, le monarque peut toutefois user de sa personnalité pour véhiculer des valeurs. À cet égard, pour mieux le connaître, je vous invite à (re)lire cette chronique d’Isabelle Hachey⁠2. Il y a, là aussi, matière à inquiétude.

Les Québécois sont, de loin, les plus favorables à l’abolition de la monarchie. Toutefois, pour y arriver, il faudra l’accord de la Chambre des communes et celle des 10 provinces. En octobre 2022, à la Chambre des communes, le Bloc québécois a été le seul parti politique fédéral, le seul, à voter pour la fin du lien monarchique. La rupture n’est pas pour demain.

Le couronnement de samedi ne devrait pas être un moment de réjouissance ni même un divertissement. De toutes les instances qui nous gouvernent, la monarchie canadienne est celle qui mérite le moins d’être célébrée. Nos institutions devraient nous ressembler et porter les valeurs qui sont les nôtres. À cet égard, la monarchie devrait nous faire honte.

On nous dira que ce n’est jamais un bon moment pour l’abolir, qu’il y a toujours une urgence plus pressante. C’est ce qu’on nous a dit pour l’abolition du serment au roi par l’Assemblée nationale. Ce n’était pas urgent, mais, après l’avoir fait, on se sent nettement plus intègres et plus fiers de ce que nous sommes.

1. Lisez « Le roi Charles III est plein aux as ! » 2. Lisez « La reine n’aurait pas fait ça »