Le métier de député renferme son lot de défis. D’abord celui de se faire élire. Puis vient la vie sous une loupe – celle des médias traditionnels et sociaux qui obligent le politicien à passer plus de temps sur un écran qu’un influenceur. S’ajoutent les nombreux déplacements entre la circonscription et l’assemblée législative et les heures incalculables réservées aux rencontres avec les citoyens. L’emploi du temps, on s’en doute, est incompatible avec une vie familiale équilibrée.

On croirait alors les élus québécois volontaires à exiger un salaire en lien avec ce don de soi singulier. En fait, c’est tout le contraire. Chaque fois qu’émerge ce sujet, ils marchent sur des œufs, se méfient des adversaires politiques et rivalisent pour gagner des concours de frugalité. Cette prudence n’est pas exclusive à l’Assemblée nationale et explique l’état lamentable dans lequel se trouve la résidence officielle du premier ministre du Canada. L’argent, on s’en doute, n’est pas un enjeu – le Trésor canadien pourrait se permettre de créer un nouveau quartier à Ottawa avec 400 résidences comme le 24 Sussex Drive. Le premier ministre Trudeau préfère habiter à l’étroit dans une résidence secondaire plutôt que de risquer de subir l’opprobre des partis de l’opposition pour des dépenses pourtant nécessaires.

Les élus de l’Assemblée nationale débattront bientôt des conclusions d’un rapport déposé le mois dernier visant à ajuster leurs conditions de travail. Un comité composé d’un expert en rémunération et de deux ex-députés propose d’augmenter le traitement des députés (y compris l’allocation de dépenses) – il passerait de 139 745 $ à 169 950 $. Ce n’est pas la première fois que l’Assemblée nationale fait appel à des tiers pour se pencher sur la rémunération des élus. En novembre 2013, la juge Claire L’Heureux-Dubé avait aussi proposé des augmentations, mais ses conclusions avaient été largement ignorées par la classe politique québécoise absorbée par la survie du gouvernement minoritaire de Pauline Marois.

Le rapport tente l’impossible – définir le rôle d’un député afin d’y associer un salaire. Ni dentiste ni soudeur, le député n’a pas de comparable dans le secteur privé. Les auteurs se rabattent donc sur des emplois dans le secteur public. Aujourd’hui, les députés gagnent un peu moins qu’un cadre dans le réseau scolaire.

Le comité se penche brièvement sur les salaires des députés des autres assemblées législatives au Canada. Pourtant, c’est là où se trouve le meilleur comparable. Les députés fédéraux gagnent 194 600 $ pour un travail similaire à celui des députés au Québec.

Les pointilleux avanceront que le territoire et les champs d’intervention diffèrent, mais dans un univers de comparables bancals, c’est le moins imparfait. Et le salaire des sénateurs – 169 600 $ pour un travail à temps très partiel – nous rappelle qu’à 139 745 $, les députés québécois représentent une aubaine.

Ce nouveau débat autour du salaire des députés risque de faire rejaillir le malaise collectif autour de l’argent. Déjà que pour plusieurs de nos concitoyens, les responsabilités d’un député demeurent nébuleuses – s’il fallait en plus qu’il soit riche ! Et les dissidences, n’en doutez point, viendront aussi de l’intérieur des murs de l’Assemblée nationale. Québec solidaire a déjà fait connaître son opposition à une augmentation du traitement des députés. D’un parti qui le premier imprime des pancartes avec le slogan « Payons-les ce qu’ils valent ! » en appui à toutes les manifestations syndicales, on peut s’en surprendre. Québec solidaire me fait penser aux trois ou quatre malins dans une classe de deuxième secondaire qui votent pour une visite au Musée des insectes plutôt que pour une journée à La Ronde. Devant leurs parents, ils ont la conscience en paix. Mais venu le jour de la sortie, nos malins sautent de joie lorsque s’ouvrent les portes de La Ronde.

Les députés bénéficient aussi d’un plan de retraite et d’une allocation de transition lorsqu’ils quittent la politique. Pour recruter plus de jeunes doués vers la politique, il faut tenir compte des sacrifices professionnels exigés.

Interrompre une carrière à 35-40 ans comporte des risques plus importants qu’à 60 ans. Ajouter un rôle de député au CV d’une personne est digne de fierté – mais ne croyez surtout pas que la liste des employeurs potentiels s’allonge pour autant. La réintégration d’ex-députés dans le marché du travail est trop souvent un long chemin rempli d’embûches et de déceptions.

Certains avancent qu’il ne faut pas permettre aux élus de décider de leurs émoluments. Pourtant, ils héritent de responsabilités avec des conséquences nettement plus importantes, comme celles d’approuver des dépenses budgétaires annuelles de plus de 115 milliards de dollars et de décréter les conditions dans lesquelles un Québécois peut mourir dans la dignité. Que disait-on encore sur les arbres et la forêt ?

Rien n’oblige une personne à choisir la voie politique – mais lorsqu’elle le fait, offrons-lui des conditions à la hauteur des exigences. Le comité aurait dû proposer des conditions similaires à celles versées aux députés fédéraux – il a opté pour un traitement plus modeste. C’est quand même un pas dans la bonne direction. La démocratie n’a pas de prix – le traitement équitable de ceux chargés de la préserver non plus.

* La conjointe de Michael Fortier est députée à l’Assemblée nationale