Les comportements sexualisés inappropriés ou discriminatoires en milieu de travail sont « monnaie courante » et nécessitent une réforme législative majeure, conclut un comité d’expertes indépendantes dans un imposant rapport rendu public vendredi matin. Le ministre du Travail, Jean Boulet, assure prendre l’affaire très au sérieux et promet d’y donner suite.

« Ce sont certainement des recommandations phares qui justifient une analyse en profondeur », a commenté le ministre Boulet en entrevue téléphonique avec La Presse.

M. Boulet, qui était avocat en droit du travail avant d’entrer en politique, s’est dit « renversé » par les données exposées dans le document de près de 350 pages.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Boulet, ministre du Travail

Au Québec, pratiquement une personne sur deux (49 %) a observé ou subi un « comportement sexualisé inapproprié ou discriminatoire en milieu de travail » dans la dernière année, signalent les auteures, qui ont fait extraire les données québécoises d’un sondage réalisé par Statistique Canada en 2020. Les femmes étaient deux fois plus nombreuses que les hommes à déclarer avoir subi de tels comportements (26 % et 13 % respectivement). Ces comportements sont donc « monnaie courante dans les milieux de travail québécois », écrivent les chercheuses à l’appui de leurs 82 recommandations.

« Je n’exclus rien à ce stade-ci », a indiqué le ministre, qui « assure que ce ne sera pas tabletté ».

« Le caractère profondément sérieux et humain de ce phénomène en milieu de travail requiert une diligence de ma part », a déclaré M. Boulet, en précisant que ses équipes « sont en analyse ».

« Ça ne sera pas une affaire d’années, c’est une affaire dans les prochains mois. »

D’où sort ce rapport ?

C’est l’une des suites données au Comité transpartisan sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale, qui réunissait des députées des quatre partis représentés à l’Assemblée nationale. Les victimes en milieu de travail sont confrontées à une diversité de recours « déroutante », qui « peut même entraver l’accès à la justice », soulignait le premier rapport remis à ce comité transpartisan à la fin de 2020. Il faudrait donc mandater un nouveau groupe de travail pour examiner le traitement de ces violences, avaient recommandé les auteures. C’est ce que le ministre Boulet a fait en janvier 2022.

Quelle est sa principale recommandation ?

Une division spécialisée en matière de violence à caractère sexuel, dans l’esprit du nouveau Tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale, devrait être créée au Tribunal administratif du travail (TAT). Le Tribunal spécialisé, créé par le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette à l’automne 2021, vise à améliorer l’accompagnement et le soutien des victimes en matière de droit criminel, mais il ne règle pas les problèmes de droit du travail.

En milieu de travail, les victimes « sont confrontées à un cadre juridique complexe et fragmenté », au point que « le traitement de leur réclamation peut constituer un processus de victimisation secondaire », déplore le comité formé de trois professeures universitaires. Ces victimes peuvent « se voir imposer des exigences de preuve qui outrepassent même celles du droit criminel », dénoncent les auteures.

Est-ce vraiment si important ? On n’en entend jamais parler…

Une « proportion minime » des victimes fait « une dénonciation formelle », ce qui entraîne « une sous-représentation des situations de harcèlement et d’agression à caractère sexuel », explique le rapport.

Dans la construction, par exemple, le harcèlement sexuel est la forme de harcèlement et d’intimidation la plus souvent subie par les femmes. Mais celles-ci, comme leurs collègues masculins, « en viennent à normaliser des situations qui seraient jugées inacceptables dans d’autres secteurs industriels », a constaté la Commission de la construction du Québec. La crainte de représailles et les difficultés d’accès aux recours contribuent aussi à la sous-dénonciation dans ce secteur.

Par ailleurs, la quasi-totalité des travailleurs non syndiqués portent plainte après avoir quitté leur emploi. Au-delà des réparations qui leur sont accordées, il faut « s’assurer que les auteurs du harcèlement ne puissent faire d’autres victimes », font valoir les auteures.

Que propose-t-on d’autre ?

La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) devrait traiter les dossiers de harcèlement psychologique à caractère sexuel de façon prioritaire, et offrir au plaignant de l’accompagner pendant la médiation, recommande le rapport.

Le TAT devrait aussi pouvoir ordonner une révision de la CNESST dans le milieu de travail concerné, même si la victime n’y est plus. Des présomptions légales devraient aussi être créées en faveur des victimes afin, par exemple, qu’une maladie survenue après de la violence à caractère sexuel au travail soit présumée être une lésion professionnelle. Des mesures pour en finir avec la « sous-indemnisation » des travailleurs de moins de 18 ans encore aux études sont aussi recommandées.

Le rapport Mettre fin au harcèlement sexuel dans le cadre du travail : se donner les moyens pour agir, par les professeures Rachel Cox (UQAM), Dalia Gesualdi-Fecteau (Université de Montréal) et Anne-Marie Laflamme (Université Laval), sera diffusé sur le site du ministère du Travail.

Consultez le site du ministère du Travail

Avec la collaboration de Tommy Chouinard et de Fanny Lévesque, La Presse