Difficile de dire ce qui est le plus troublant : découvrir que le projet-phare du gouvernement aurait pu être lancé sans que des éléments fondamentaux n’aient été étudiés ou que la décision se soit prise en tout petit comité, sans que les ministres directement affectés n’aient même été consultés.

La Coalition avenir Québec a tenu un caucus d’urgence de ses députés de la région de Québec, hier matin. Caucus inhabituel, parce que la colère des députés ne s’est pas résorbée, pas plus que celle de leurs électeurs.

Imaginez la frustration de ministres qui apprennent que le projet est abandonné, alors que la décision est prise et qu’on n’a pas pris le temps de les consulter. La décision finale s’est prise en petit comité, dans le bureau du premier ministre, entre celui-ci, son omniprésent chef de cabinet et la seule ministre des Transports.

Imaginez celle des députés qui ont passé une campagne électorale à promouvoir et à promettre ce projet pour apprendre en même temps que la population que le gouvernement a changé d’idée.

D’autant qu’il est étrange de voir M. Legault dire, en point de presse mardi, que les choses ont changé quand il a reçu de nouvelles données d’achalandage, le 5 avril. Des données par nature transitoires.

Faut-il vraiment croire que la décision de bâtir ou non une infrastructure qui doit durer plusieurs décennies change du jour au lendemain parce que le gouvernement a reçu une nouvelle étude ?

Il y a, dans cette façon de procéder, le signe d’un véritable problème de gouvernance. D’abord parce que lorsqu’on en arrive à une telle conclusion en petit comité, on risque plus de faire des erreurs. Même si on peut comprendre qu’on veuille éviter les fuites, il y a pas mal plus de vertus à avoir un processus plus ouvert et à entendre plus de points de vue.

Pour les députés qui ont fait campagne en défendant le troisième lien, cela signifie un déficit de crédibilité important auprès de leurs commettants qui, inévitablement, vont se demander à quoi servent leurs représentants.

Avoir plus de députés impliqués dans la décision veut aussi dire qu’on ne va pas devoir ensuite faire face à des idées saugrenues, comme celle de « compenser » la région de Québec pour la promesse brisée.

Ne serait-ce que parce que cela tend à prouver que les électeurs peuvent se faire acheter par les promesses électorales. Et que, si la bonne gouvernance fait qu’on doive changer d’idée – et à 10 milliards de dollars pour un tunnel, ça se justifie ! – il faudra absolument les dédommager avec d’autres projets.

C’est une attitude d’autant plus déplorable que, quand on regarde froidement le dossier, le premier ministre Legault a pris la bonne décision.

Et cela fait partie de son travail de dire non, même à des promesses électorales, quand elles ne sont plus justifiées. Les électeurs sont ensuite libres de le juger, mais il est élu pour décider. Quand on parle de compensations, on se trouve à dire que le premier ministre devrait avoir les mains liées.

Ce qui ne veut pas dire que le gouvernement a bien géré l’ensemble du dossier. Il y a beau avoir eu 8000 pages d’études, on se rend compte qu’il y manque encore bien des éléments.

Rien sur les méthodes de construction ou sur le type de tunnel envisagé. Pas d’études sismiques dans une région où les tremblements de terre sont mineurs mais relativement fréquents. Bref, il manque bien des éléments qui auraient encore pu avoir des effets sur les coûts.

En fait, on voit maintenant qu’il n’y a jamais eu de véritables plans du troisième lien. Le dossier le plus avancé a toujours été celui des relations publiques. Pour les conférences de presse, il y avait de belles images et de beaux graphiques. Sauf qu’ils n’étaient pas faits par des ingénieurs mais par des consultants en communications.

Et ça commence à devenir une signature de ce gouvernement. Des idées qui font de belles images, le plus souvent lancées en campagne électorale et qui sont ensuite pas mal plus difficiles à traduire dans le concret.

Ainsi, on a eu des nouvelles récentes des Maisons des aînés, une promesse de la campagne électorale de 2018, qui commence à voir le jour malgré des retards importants
– on avait promis 2600 places d’ici 2022, mais seulement six bâtiments ont été livrés. Deux sont vides et les quatre autres accueillent moins de résidants que prévu.

Évidemment, le recrutement du personnel est difficile en raison de la pénurie de main-d’œuvre, ce qui rend encore plus difficile la mise en service des Maisons des aînés. Mais cette pénurie était prévisible.

Dans les brochures électorales de la CAQ, les croquis étaient bien jolis. De beaux bâtiments avec des chambres individuelles, climatisées, entourés de jardins. Mais, comme pour le troisième lien, c’était d’abord un exercice de relations publiques.