Le cacaoyer est une plante originaire des Amériques qui s’est bien adaptée aux terres d’Afrique occidentale. C’est un pur produit de la mondialisation des plantes cultivées qui a commencé avec le premier voyage de Christophe Colomb.

À cause de cette migration des semences dont la convoitise des Européens était jadis le moteur principal, l’Afrique est devenue le premier cultivateur du cacaoyer originaire d’Amérique du Sud et l’Indonésie est devenue le premier cultivateur du palmier à huile originaire d’Afrique. Aujourd’hui, c’est près de 70 % de tout le cacao transformé sur la planète qui vient d’Afrique. La Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigeria et le Cameroun sont les principaux pays exportateurs de fèves.

À elle seule, la Côte d’Ivoire produit 44 % du cacao planétaire, dont un peu plus de la moitié est destinée au marché européen. Le tiers de la production ivoirienne et 75 % des fèves du Ghana, qui occupe le deuxième rang mondial, sont exportées vers l’Amérique. Mais depuis le début de cette agriculture très coloniale, les planteurs africains vivent dans le grand ressentiment de ne pas recevoir leur juste part des sommes astronomiques provenant de la transformation de leur récolte. Cette autre amertume n’est pas indiquée sur les barres de chocolat.

La prédation du cacao africain, mais aussi celui provenant d’Amérique du Sud, est un exemple parmi les plus honteux et détestables de ce qu’on aime bien nous présenter comme une mondialisation des économies.

En 2018, le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme (CREDH) estimait que les agriculteurs africains qui se tuent à l’ouvrage pour produire les fèves empochaient un maigre 3 % des revenus provenant de la transformation du cacao, qui représentait une industrie de 130 milliards de dollars américains en 2020. Mais une certaine solidarité entre pays africains producteurs, désireux de réclamer leur juste part du gâteau, se fait de plus en plus sentir dans ce système d’arnaque qu’on ne dénonce pas assez.

Aussi, comme consommateur, ça vaut vraiment la peine d’encourager parfois les petits transformateurs qui vendent un chocolat équitable. Votre douce récompense vous coûtera un peu plus cher, mais vous aurez symboliquement fait un geste solidaire.

Le cacaoyer est d’ailleurs une plante formidable que la nature a façonnée pour fleurir dans un système de culture solidaire que gagneraient à copier les industriels des produits de sa fève. Les jeunes plants de cacaoyers s’épanouissent sous de grands arbres qui leur servent de mamans protectrices. En cause, ils ont besoin de 30 à 50 % moins de lumière que les adultes. Une particularité qui s’explique par le fait que l’espèce est naturellement une plante de sous-bois. Alors, même à l’âge adulte, la présence de grands arbres qui atténuent un peu la luminosité est bénéfique à la culture du cacaoyer.

En Sierra Leone, qui est un autre producteur africain de cacao, les grandes sœurs qui les surplombent sont parfois des kolatiers, ces arbres dont les noix très riches en caféine entraient dans les premières recettes du Coca-Cola. D’ailleurs le mot « cola » dans la célèbre boisson américaine vient de la langue des Temnes de Sierra Leone. Ce compagnonnage des cacaoyers par les kolatiers m’a toujours ému, car les deux espèces ne se seraient probablement jamais rencontrées si les Européens n’avaient pas craqué pour leur version sucrée du chocolat des grandes civilisations précolombiennes. C’est émouvant de constater que le cacaoyer qu’ils ont fait immigrer en Afrique y a trouvé un arbre appartenant à la même famille que lui, celle des sterculiacées, pour le protéger du soleil et l’aider à mieux s’enraciner.

C’est une histoire qui est bien plus jolie que le commerce très inéquitable du cacao. Un négoce où ceux qui se tuent à l’ouvrage pour qu’on puisse mettre du chocolat à toutes nos sauces n’ont pas les moyens de faire goûter ces délicieuses préparations à leurs enfants. Pourtant, ceux qui profitent avidement de cette manne gagneraient à redonner leur juste part aux cultivateurs et mieux contribuer au développement et à la stabilité des pays producteurs, car tout cet échafaudage est bien fragile. Il suffit que le Ghana et la Côte d’Ivoire, qui produisent 60 % du cacao, basculent dans une période d’instabilité pour qu’une grande partie de cette industrie s’écroule.