La réponse à cette question a été publiée dans les journaux cette semaine par un millier de signataires.1 Qui aurait pensé que l’intelligence naturelle qui brille par son absence de sagesse au sommet de la création aurait un jour à craindre sa propre créature ?

Le spécialiste en intelligence artificielle (IA) Yoshua Bengio fait partie des personnes qui ont exprimé leurs craintes de cette nouvelle intelligence venue des machines. Convaincus que les robots conversationnels peuvent représenter un risque pour l’humanité que nous n’avons pas le temps d’évaluer à cause de la rapidité de leur développement, ces sages appellent à la retenue.

C’est la fiction qui dépasse la réalité, car Hollywood nous a souvent présenté ces scénarios mettant en vedette une créature qui échappe au contrôle du scientifique extravagant et un peu barjo qui l’a mise au monde. Devenue incontrôlable à l’extérieur du labo, la bête finit souvent par s’attaquer à son créateur qu’elle tient pour responsable de son sort. Alors si Bengio et tous les autres ont des raisons valables d’avoir la frousse de l’IA, nous sommes dans un récit en deux temps, ironiquement très semblable à ces films de science-fiction.

Une histoire qui commence au moment où la nature a créé ce bipède dont le cerveau qui représente 2 % de la masse du corps consomme entre 20 et 25 % de toute son énergie au repos. Une machine de création et de destruction massive qui ne contient pas loin de 100 milliards de neurones. Chaque neurone peut aussi se connecter à des milliers d’autres. Ce qui crédite chaque humain d’autant plus de connexions nerveuses qu’il y a d’étoiles dans la Voie lactée.

La force de l’humain

Armé de ce superordinateur cérébral, l’humain a accompli en une fraction de seconde dans l’échelle évolutive ce que la nature a mis des millions d’années à fignoler. Par exemple, en seulement quelques siècles, nous avons appris à voler là où la nature a consacré près de trois milliards d’années à inventer les ailes des oiseaux.

Avec la voiture, nous avons battu la pointe de vitesse du guépard, l’avion nous a permis de donner une leçon de vol au faucon, nos bateaux ont laissé dans leur sillage les poissons volants et, avec les sous-marins, nous côtoyons les baleines dans les profondeurs. Nous avons même trouvé des façons d’aller voir ce qui se passe sur les autres planètes.

Rien dans la biosphère ne résiste désormais à la puissance destructrice de l’humain qui s’est arrogé le droit de vie et de mort sur le reste de la création.

Grâce à une gigantesque campagne d’autoglorification, il a même réussi à se convaincre que tout ce qui vit sur la Terre a été créé juste pour satisfaire ses moindres désirs et caprices. Autrement dit, que mère nature a consacré plus de 3,5 milliards d’années à fignoler la planète et sa biodiversité en attendant l’arrivée de l’élu, le petit dernier qui n’a pas plus de 300 000 ans d’âge. Pas surprenant alors de voir cet enfant gâté scier la branche sur laquelle il est assis sans trouver la force de s’arrêter.

Changement de paradigme

Mais il y a du nouveau chez ce bipède devenu son propre prédateur. Il a désormais peur d’un monstre intelligent qui s’est échappé de ses neurones. Comment en est-il arrivé là ? Par ce qui ressemble à une boucle de rétroaction négative. Au premier temps de cette histoire, c’est la nature qui a créé l’intelligence naturelle humaine. Une fois au sommet de sa clairvoyance, cette intelligence naturelle s’est retournée contre sa créatrice. Au deuxième temps, c’est l’intelligence naturelle humaine qui accouche de l’intelligence artificielle. Voici maintenant qu’à son jeune âge, cette intelligence artificielle commence déjà à donner des sueurs froides à son créateur.

Craignant d’être punie par là où elle a péché, l’humanité commence à s’interroger. De quoi avons-nous véritablement peur dans cette histoire ? Nous redoutons surtout que la stupidité naturelle du genre humain s’empare de l’intelligence artificielle. Quand l’éminent Yoshua Bengio dit craindre que ces esprits non humains nous rendent obsolètes et finissent par nous remplacer, il exprime ce manque de confiance en notre lucidité.

Mais, à mon humble avis, ce drapeau rouge arrive un peu trop tard, car l’humain renonce difficilement à ce qu’il considère comme un signe de progrès qui permet de sauver du temps, de faire de l’argent et d’économiser de l’énergie cérébrale.

1. Lisez l’article : « Intelligence artificielle : Musk, Bengio et un millier d’experts demandent une pause de six mois »