Plusieurs affirment que Montréal n’est plus vivable. Moi, Montréalaise pur jus, amoureuse de ma ville, je vois mes sentiments vaciller depuis peu. Pas au point de la quitter, où irais-je, mais disons très préoccupée par son avenir.

Lâchons les lunettes roses. Montréal va mal, la ville se remet difficilement d’une crise exacerbée par la pandémie. Son centre-ville se cherche, la crise du logement la plombe, elle est sale, elle perd nombre de ses forces vives, notamment les familles de la classe moyenne francophone, l’insécurité croît dans certains quartiers, le français y recule progressivement.

Le symbole récent de tous ces maux est l’état pitoyable du quartier jadis centre francophone de Montréal, autour de la place Émilie-Gamelin, qui est devenue zone sinistrée, avec ses commerces placardés et sa misère humaine permanente.

Pourtant, même ce coin s’en tirera. Trop bien situé, avec déjà les éléments d’un pôle culturel significatif : la BAnQ, l’UQAM, la Cinémathèque, l’Espace St-Denis. Il finira à échapper à son destin le jour où un promoteur dressera une tour à condos. Un peu comme le légendaire Downtown Eastside de Vancouver, longtemps cour des miracles, mais qui, depuis trois ans, commence à s’embourgeoiser. Les condos viendront bouleverser la trame de ce quartier et marqueront sa mutation, ce qui n’ira pas sans heurts : où iront les mal-pris ? Les tours sont-elles l’âme et l’avenir de Montréal ?

Et comme cette zone multipoquée, la ville s’en sortira. On voit déjà des secteurs jadis en décrépitude reprendre vie, pensons au nouveau Chinatown scintillant qui prospère sur Sainte-Catherine Ouest près d’Atwater. C’est souvent l’embourgeoisement qui donne le coup d’envoi de la relance de bouts de rues, qui enclenche la revitalisation. Après, le politique s’y intéresse, instaure des mesures d’apaisement de la circulation, des pistes cyclables. Mais le mouvement de refonte des lieux part trop souvent de citoyens audacieux, puis de promoteurs au flair aiguisé qui saisissent les occasions.

Quelle sera la nature, l’originalité de Montréal dans l’avenir, en Amérique et dans le monde ? Sa distinction était son caractère francophone assumé, son humanité ; bouffées d’air frais dans un continent anglophone.

Dans 20 ans, qu’est-ce qui la distinguera, en fera la saveur ? Ce ne sera pas juste le fait d’être densifiée et de souscrire à la mobilité. Toutes les grandes villes, de Paris à Portland, de Copenhague à Philadelphie, ont fait ce virage nécessaire. Ça ne suffira pas à nous garder uniques et désirables.

Il n’y a pas beaucoup, en ce moment, dans ce Montréal un peu cow-boy, de vision claire pour l’avenir, autre que la nécessaire mais pourtant fourre-tout notion de mobilité. De quel Montréal voulons-nous ? Quelle ville habiterons-nous dans 10 ou 20 ans, et à quel coût humain ? Habitée par qui ? Avec quelle saveur, en quelle langue ? En ce moment, les politiques ont carrément un train de retard sur les mouvements démographiques profonds qui bouleversent les contours de la ville, que ce soit l’immigration ou le phénomène de fuite vers l’extérieur, même au-delà de la banlieue. Voulons-nous une ville pensée (!!!) par des promoteurs immobiliers ? Les questions sont légion quand on regarde devant, sur un horizon pas si lointain.

Voulons-nous d’une ville qui, encore plus qu’aujourd’hui, éloigne les classes moyennes, les locataires peu fortunés, les familles ? Montréal, comme beaucoup de grandes villes, est en voie d’être destiné aux riches... et aux très mal pris.

Il est fondamental de se demander quel sera son rôle par rapport au Québec. Par sa démographie, la métropole non seulement se démarque, mais aussi s’en éloigne de plus en plus. Elle en est mal aimée, prise de haut, snobée, mais elle s’isole aussi, ne serait-ce qu’en s’anglicisant chaque année un petit peu plus.

Montréal n’est plus, depuis longtemps, la vitrine d’un Québec francophone, en lien avec les régions, mais une bibitte étrange qui a de moins en moins à voir avec le reste du Québec.

On y vit, on y vote différemment, aussi bien au provincial qu’au fédéral. La CAQ peut prospérer dans la province sans y avoir de représentation significative. On y concentre la très grande majorité des nouveaux arrivants, qui contribuent à redéfinir la trame sociale du Grand Montréal. Ni Montréal ni le Québec ne gagnent à se développer en parallèle, à vivre une mutuelle incompréhension.

La crise que traverse actuellement Montréal, car c’en est une, est certes économique, sociale. Mais avant tout, elle est identitaire. Où est passée son âme ? Que deviendra, profondément, fondamentalement, cette ville ? La réponse n’appartient ni aux promoteurs ni aux seuls politiciens. Ils n’ont pas, seuls, les clés de l’avenir. Elle concerne l’ensemble des Montréalais. Un indice : ça passera par notre caractère francophone assumé. Mettons qu’il y a du boulot...