On l’entend depuis des mois : il manquera 500 millions de dollars pour financer le transport collectif cette année dans le Grand Montréal, en raison de la baisse d’achalandage causée par la pandémie.

Un. Demi. Milliard.

Du gros argent.

Les demandes fusent pour que Québec pompe des montagnes de nouveaux dollars, idéalement dans le cadre d’une entente de cinq ans, afin de combler ce manque à gagner.

Mais avant de recevoir un chèque, l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), responsable de planifier tout le secteur dans la région montréalaise, compte revoir de fond en comble les façons de faire de l’industrie pour dégager de nouvelles économies.

Un grand exercice en ce sens a été lancé mercredi, ai-je appris.

L’ARTM a présenté en après-midi son « plan d’action » aux dirigeants de la Société de transport de Montréal (STM), de la Société de transport de Laval (STL), du Réseau de transport de Longueuil (RTL) et d’exo.

La demande est claire : ces sociétés devront identifier à court terme des économies et des moyens d’« optimiser » le fonctionnement des transports en commun dans la région, sans réduire la qualité et la fréquence du service offert aux usagers.

Énorme défi à l’horizon. Accrochages garantis.

Aucune cible précise n’a été fixée, mais selon mes informations, l’ARTM espère que les économies se chiffreront en dizaines de millions.

Le but de la manœuvre est de faire un bout de chemin pour réduire les déficits récurrents, dans le but de convaincre Québec d’investir des sommes importantes pour combler le reste du manque à gagner.

Comment l’ARTM compte-t-elle s’y prendre ?

Des économies pourraient être faites en réduisant le nombre de cadres et d’employés administratifs, croit l’organisation.

L’ARTM vise aussi la mise en commun de certaines ressources, entre autres pour l’entretien et la recharge des autobus électriques. Également, la création d’« axes métropolitains à haute fréquence », qui permettraient par exemple à des bus de la STL d’embarquer des passagers sur le territoire de la STM.

En somme, l’Autorité vise à faire « mieux » et « plus » avec les ressources déjà existantes, et estime qu’on « ne peut construire aveuglément sur un modèle qui ne tient pas compte des importants changements qui ont cours ».

Cette demande survient alors que le secteur du transport collectif traverse de grands bouleversements partout au pays.

Il y a d’abord l’achalandage, qui reste environ aux deux tiers de ce qu’il était avant la pandémie. Dans le Grand Montréal, les recettes tarifaires payées par les usagers se sont élevées à 654 millions l’an dernier, contre 940 millions en 2019.

Québec a pompé des fonds d’urgence de plus de 1,4 milliard depuis le début de la pandémie, mais cette aide temporaire achève.

Pas plus tard que mardi, exo, qui exploite les trains de banlieue et lignes d’autobus dans la périphérie, a estimé son déficit à 29 millions pour la prochaine année. La STM évalue le sien à 60 millions, et cela, après avoir annoncé un plan de réduction de 18 millions.

La pente à remonter sera abrupte. L’écart est énorme entre les attentes de l’ARTM en matière de réduction des dépenses et les difficultés financières que disent déjà vivre les sociétés de transport.

Autre élément de complexité dans l’équation : la cote d’amour (très faible) de l’ARTM.

L’organisation, créée en 2017, cherche toujours à asseoir son autorité – sans mauvais jeu de mots – après de premières années d’existence pénibles.

Québec s’est montré hautement insatisfait de la performance de cet organisme, dont la mission première est de planifier et de financer l’ensemble du réseau de la métropole.

Le gouvernement Legault lui a donné une tape sur les doigts – on pourrait même parler d’une grosse taloche – en mai dernier1.

Autre élément de difficulté : l’arrivée du Réseau express métropolitain (REM). Ce système de train léger de 67 kilomètres, conçu et détenu par une filiale de la Caisse de dépôt, devra s’intégrer au réseau existant géré par l’ARTM, ce qui cause certains accrochages.

S’ajoute à ce menu copieux le rebrassage en cours au sommet des sociétés de transport. Deux des quatre directeurs généraux ont quitté leur poste au cours des derniers mois (Luc Tremblay à la STM et Guy Picard à la STL) et un troisième partira sous peu (Michel Veilleux au RTL).

C’est donc sur cette toile de fond un peu chaotique que l’ARTM a présenté mercredi son plan de match aux sociétés de transport en commun du Grand Montréal. Cet exercice représentera un test énorme pour la crédibilité de la jeune organisation.

J’ai parlé à plusieurs sources haut placées dans les différentes agences de transport et elles soulignent qu’il n’y aura pas de miracle à la clé. Il leur sera difficile, voire impossible, de réduire leurs dépenses sans rogner sur l’offre de service, même si les ententes signées avec l’ARTM leur interdisent de le faire2.

La plupart conviennent néanmoins que certaines idées de l’ARTM se défendent bien. Comme celle de « régionaliser » les activités touchant l’électrification des autobus. Je suis d’accord.

Il faudra acheter une tonne de nouveaux équipements à fort prix, et peut-être même construire de nouveaux garages, au fur et à mesure que le parc grossira dans les prochaines années. Il faudra aussi déterminer la meilleure stratégie pour recharger ces bus au bon moment, avec une précision millimétrée, puisque leur autonomie est plus faible que celle des véhicules au diesel.

À l’heure actuelle, les quatre sociétés de transport de la métropole développent chacune de leur côté leur plan de match. Tout mettre en commun pourrait certainement générer des gains d’efficacité.

La proposition de l’ARTM arrive à minuit moins une, puisque les sociétés ont déjà commencé leurs projets d’électrification. Mais mieux vaut tard que jamais. Surtout si cela peut éviter d’autres fiascos financiers comme le garage à 584 millions de la STM, dans le quartier Rosemont–La Petite-Patrie3. Hâte de voir la suite.

Ce n’est pas la première fois que l’idée d’intégrer certaines activités de transport en commun est évoquée. Les plans antérieurs ont achoppé, notamment en raison des contraintes syndicales.

La résistance à la « régionalisation » risque d’être forte. L’application, compliquée. Si les puissants syndicats acceptent de se montrer plus flexibles, par exemple en acceptant d’accueillir à Montréal des bus électriques de Longueuil, on peut prévoir que les conditions salariales seraient uniformisées pour tous à la hausse, et non à la baisse.

Les économies souhaitées par l’ARTM pourraient donc être difficiles à obtenir.

Quoi qu’il en soit, l’Autorité estime que les changements dans les habitudes de déplacement sont irréversibles. Elle juge qu’il serait « contreproductif », voire « irresponsable », de ne pas revoir l’organisation du réseau à l’échelle métropolitaine maintenant qu’il est acquis que le télétravail est là pour de bon.

La ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, entamera ce mois-ci une tournée de consultation pour trouver des solutions à la crise du financement. Elle espère annoncer un plan de financement quinquennal d’ici la fin de 2023.

Tout ne sera pas réglé pour autant.

Car en plus de financer le réseau déjà existant, il faudra presser le pas pour développer sans délai une nouvelle offre de transport collectif pour les secteurs mal desservis, comme l’est de Montréal.

Québec, Ottawa et les villes devront débourser des milliards. Ce sera un choix de société, et une facture avec plusieurs zéros pour tous les contribuables.

1. Lisez « “Gestion brusque” et “opacité” à l’ARTM, selon un rapport » 2. Lisez « Cessez de “prendre l’usager en otage”, lance l’ARTM aux opérateurs » 3. Lisez « Le garage Bellechasse de la STM coûtera plus de deux fois plus cher que prévu »