(Québec) Québec et ses CIUSSS d’un bord, le fédéral de l’autre, des organismes communautaires sous-financés écartelés sur le terrain, et les villes, coincées au milieu.

Bruno Marchand en a ras le bol de la façon kafkaïenne dont est gérée la crise de l’itinérance. Il veut « casser le système », rien de moins.

Gros contrat.

Le maire de Québec est sur toutes les tribunes ces derniers temps, avec ses demandes corsées en vue du prochain budget provincial (un demi-milliard !), son accueil glacial au projet caquiste de « troisième lien » et le futur tramway qu’il doit défendre dans la tourmente.

Mais un sujet l’anime tout particulièrement : la lutte contre l’itinérance. Il dirige un nouveau comité de maires consacré à cette question, et il ne prend pas sa tâche à la légère.

Marchand n’en peut plus du discours fataliste qui émerge à tout coup lorsque vient le temps d’envisager des solutions concrètes aux racines du problème.

Du travail en silo de tout un chacun, aussi (et surtout).

« Ça ne marche pas en ce moment, chacun travaille pour sa christie de paroisse », m’a-t-il lancé pendant une longue entrevue cette semaine à Québec.

De son bureau, on voit le quartier Saint-Roch, dans la Basse-Ville, refuge traditionnel des populations itinérantes de la capitale. Et Beauport à l’horizon, une banlieue qui accueille maintenant elle aussi des sans-abri.

L’itinérance n’est plus concentrée dans les quartiers centraux de Montréal et de Québec, rappelle Bruno Marchand. La composition du comité qu’il dirige en est la preuve : on y trouve les maires de Roberval, Val-d’Or, Drummondville, Trois-Rivières, Saint-Colomban, Granby…

« Ces gens-là ne siègent pas au comité parce qu’on leur a demandé, dit-il. On ne voulait même pas tant de monde que ça. Tout le monde a levé la main, parce que c’est un problème qui est maintenant partout. »

Bruno Marchand, un travailleur social de formation qui a remporté la mairie par un cheveu en 2021, déplore l’énorme « confusion » qui règne dans la gestion du dossier de l’itinérance.

Une confusion à l’image de celle du réseau de la santé, où les acronymes (comme CIUSSS, pour Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux) sont plus nombreux que le nombre de lits disponibles dans les hôpitaux.

On s’entend-tu que c’est l’humain qui a créé la confusion ? Ce n’est pas venu de Dieu !

Bruno Marchand, maire de Québec

Le sportif de 50 ans se défend d’être un idéaliste, mais il croit sincèrement que le Québec pourrait – et devrait – viser un objectif de « zéro itinérance ». Se doter d’une stratégie « intégrée » pour l’atteindre, plutôt que d’appliquer des pansements quand la situation devient trop critique, comme on l’a vu pendant la dernière vague de froid polaire.

Des exemples de succès existent ailleurs dans le monde. Marchand dirigera une mission de quatre maires québécois à Helsinki, en Finlande, à la fin mars, dans l’espoir de mieux comprendre les ingrédients de la recette, sur le terrain.

Ce petit pays nordique a réussi à réduire sa population itinérante comme peau de chagrin en faisant de l’accès au logement sa priorité ultime. L’État investit chaque année des dizaines de millions pour bâtir des logis adaptés aux plus vulnérables, avec une vision concertée, qui part du sommet de l’appareil gouvernemental pour percoler jusqu’aux ruelles les plus sombres d’Helsinki.

« Il faut arrêter d’avoir peur et s’engager, tranche Marchand. On me dit toujours : “Ça ne marchera pas ici, zéro itinérance.” Moi, je m’en fous, comment on appelle ça. Ce que je veux, c’est qu’on ait une cible, un objectif dont il faudra répondre, et qu’on va se donner cinq, six ou sept ans pour atteindre. »

Le néo-politicien n’a pas la prétention de connaître la solution magique. Mais il est convaincu que les villes devraient se voir accorder plus de pouvoirs – et d’argent – par les ordres de gouvernement supérieurs pour être en mesure d’agir comme chefs d’orchestre par rapport à l’itinérance.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Policiers du SPVM déployés à la station de métro Berri-UQAM, en février 2023, où les problèmes d’itinérance, de toxicomanie et de santé mentale s’entrechoquent avec fracas depuis des mois

Une demande aussi formulée à répétition par la mairesse de Montréal, Valérie Plante, qui manque de ressources pour gérer la crise actuelle dans le secteur de Berri-UQAM.

J’apprécie la détermination de Bruno Marchand à vouloir brasser la cage de la machine bureaucratique. Lui et ses collègues devraient revenir d’Helsinki avec des idées concrètes, et on peut espérer qu’ils trouveront une oreille attentive au gouvernement Legault.

L’ancien dirigeant de Centraide montre la même fougue à vouloir bousculer l’ordre établi dans sa ville en matière d’habitation.

Son administration est en train de revoir de fond en comble le plan d’urbanisme pour permettre la construction de logements accessoires presque partout sur le territoire, par exemple dans les garages des maisons unifamiliales. Pour faciliter la densification et la mixité des usages, aussi, afin d’ajouter au plus vite des logements dans cette ville prospère où le taux de chômage est à 2,4 %.

Deux dossiers chauds continueront à monopoliser l’attention du maire dans les prochains mois : le tramway et le « troisième lien ».

Le projet du tramway, très contesté ici, n’est pas parfait, mais il est déjà très avancé et ajoutera énormément à l’offre de transport collectif dans la capitale, croit Marchand. Il est déjà acquis que sa facture sera supérieure à 3,9 milliards.

Le prix final sera connu au cours des prochains mois, ce qui aura une influence déterminante sur la suite des choses. Pas question de plonger si la facture est exorbitante, laisse-t-il entendre. « On croit à ce projet-là, mais il y a aussi une capacité de payer des citoyens de Québec, des citoyens du Québec. »

Quant au tunnel fluvial promis par le gouvernement Legault entre Québec et Lévis, Bruno Marchand attend toujours de voir les études qui justifieraient sa nécessité. Sa condition sine qua non : que du transport collectif soit intégré.

On ne s’ennuie pas à Québec ces jours-ci.