En lisant L’équilibre énergétique de Pierre-Olivier Pineau, on réalise à quel point la transition énergétique pourrait aussi être une révolution du bon sens.

Elle exige des changements à la fois radicaux et à portée de main, démontre le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal.

Son nouveau livre est un modèle de clarté et de concision. En moins de 200 pages, il brosse le portrait énergétique du Québec, expose les enjeux économiques et écologiques et propose des solutions concrètes et applicables. À condition d’avoir la volonté de le faire.

Les technologies requises existent déjà : c’est le train, le bateau, le vél­o, la densification de milieux de vie, l’isolation des bâtiments et une consommation plus sobre.

L’essai montre que de nombreux changements requis ne feront pas forcément mal. Se libérer de notre dépendance aux énergies fossiles améliorerait notre santé, diminuerait nos dépenses et réduirait le risque de conflits.

Interview.

Question : Quand un politicien dépose un plan qui ne permet pas d’atteindre ses cibles de réduction de gaz à effet de serre (GES), il dit miser sur le développement attendu de nouvelles technologies qui feront le reste du travail. Est-ce justifié ?

Réponse : Ces technologies font rêver, mais elles sont surtout utiles pour un gouvernement qui ne veut pas agir. On se dit : pourquoi bouger maintenant si on peut attendre quelques années pour faire la transition à un moindre effort ? En ce sens, la technologie devient une alliée du statu quo. Elle sert aux élus qui ne veulent pas demander aux citoyens de changer leur mode de vie.

Selon vous, les technologies les plus importantes, nous les avons déjà…

Tout à fait. On a la bicyclette, la marche, le métro et le train pour se déplacer. Le train consomme près de trois fois moins d’énergie par passager que la voiture électrique.

Quelle devrait être la place de la voiture électrique dans la transition ?

On doit arrêter de croire qu’en électrifiant l’auto solo, nos problèmes vont se régler. Sur le cycle de vie, ces véhicules exigent beaucoup d’énergie. Il faut de l’aluminium, de l’acier, des minerais pour les construire. De plus, ils suivent la tendance des véhicules à essence en devenant plutôt gros. Ils requièrent aussi de l’électricité pour fonctionner. Et enfin, ils légitiment l’étalement urbain qui incite à construire plus de routes, plus de grosses maisons et plus d’infrastructures coûteuses. À cause de cet étalement, il devient aussi plus difficile de rentabiliser le transport collectif. Ce n’est pas le modèle à encourager.

Mais la densification peut-elle s’appliquer en région ?

On ne peut pas tous habiter au centre-ville de Montréal, bien sûr. Mais la densification ne veut pas dire ça. Il faudrait plutôt créer des poches de population proche des services. C’est comme cela qu’on faisait au XIXe siècle. Des villages se construisaient par exemple dans les Laurentides autour de la gare de train. C’est un modèle qu’on peut appliquer dans des villes de différentes tailles.

Parlez-nous de l’effet rebond qui explique pourquoi des nouvelles technologies ne réduisent pas notre empreinte écologique.

Prenons l’exemple de l’ampoule. Les nouveaux modèles sont plus écoénergétiques, mais comment a-t-on réagi ? On en achète plus, ce qui annule le gain. Même chose avec les frigos. Ils ont diminué leur consommation de 50 %, mais des ménages en ont maintenant deux ou trois, comme s’il fallait en permanence garder 48 bières fraîches pour la visite. Enfin, il y a les voitures. Leurs moteurs consomment moins d’essence, alors on a construit des modèles plus gros, ce qui annule le gain. C’est ça, l’effet rebond.

Le transport actif est-il une solution applicable en banlieue ?

Le vélo n’est pas pour tout le monde, bien entendu, mais on peut l’encourager. C’est meilleur pour la santé et pour le portefeuille. C’est absurde de se rendre au gym en voiture pour aller faire du vélo stationnaire. Autre chose à favoriser : l’autopartage. Les voitures sont stationnées 90 % du temps. C’est du gaspillage. Il suffirait de subventionner un peu les opérateurs d’autopartage comme Communauto pour les aider à y développer une masse critique d’usagers et devenir rentables. On devrait s’engager dans un cercle vertueux où il y aurait plus de gens qui utilisent le transport actif et collectif, ce qui améliore le financement et donc les services, en plus de réduire l’argent allant aux routes, et ainsi de suite.

Mais les gens disent aimer la liberté que leur procure leur véhicule.

Un matraquage publicitaire hallucinant vend les véhicules comme une façon d’accéder à de grands espaces, à la liberté, à se rendre au sommet de la montagne en pick-up pour faire du ski-doo. Mais cette prétendue liberté dépend en fait de la collectivisation du coût des infrastructures routières. Les routes ne sont pas gratuites. On le fait payer à tout le monde, et ça coûte très cher. Sans compter l’impact sur les écosystèmes.

Vous écrivez qu’on dépense plus pour remplir nos voitures que pour l’éducation. Quand on inclut tous les frais (raffinage, taxes, etc.), en 2019, le Québec a dépensé près de 20 milliards en pétrole et en diesel.

Comme société, c’est difficile de faire pire. On n’investit pas cet argent, on le brûle littéralement. Et on s’endette aussi. Après le logement, le transport est la deuxième source d’endettement des ménages. Aux États-Unis, depuis 20 ans, les prêts automobiles ont augmenté plus vite que les prêts hypothécaires. On n’a pas de données pour le Québec, mais c’est probablement assez semblable. Chez nous, on sait que le transport représente 13 % des dépenses annuelles moyennes des ménages. Encore plus que pour l’alimentation.

Si on est dépendant du pétrole, pourra-t-on s’en libérer si vite ? Ou va-t-on continuer à en avoir besoin ?

La notion de besoin est intéressante. Il n’y a qu’un seul véritable besoin en énergie : se nourrir. Sinon, on meurt. Pour le reste, on peut s’ajuster.

Et en alimentation, on peut faire mieux aussi ?

L’alimentation est responsable de 24 % à 36 % des GES mondiaux. On mange beaucoup de bœuf, qui émet 49,9 kilos de GES par 100 grammes de protéines. Pour les légumineuses, c’est seulement 0,8 kilo de GES. Si on mangeait un petit peu moins de viande rouge, on épargnerait de l’argent, on serait plus en santé, on gaspillerait moins d’eau et on réduirait le réchauffement du climat.

Voilà une vieille technologie qui n’exige pas de véritable sacrifice, à part faire attention à soi…

Exactement. Pour revenir au pétrole, la consommation n’arrêtera pas complètement. On voudra encore asphalter les routes, fabriquer certains produits en plastique et étanchéifier les toits, par exemple. Mais là encore, ce serait préférable de le faire sans prolonger les routes ni grossir les maisons.

Devrait-on alors refuser les nouveaux projets pétroliers et gaziers ?

Ce n’est pas l’approche que je préfère. Sinon, on s’en remettra à d’autres pays comme la Russie, l’Iran, le Qatar et l’Arabie saoudite, et je ne veux pas leur donner plus de pouvoir. Je souhaiterais plutôt qu’on envoie des messages forts au marché, une écofiscalité dissuasive pour que les consommateurs cessent d’acheter du pétrole et que les investisseurs ne veuillent plus développer de projets.

Comme hausser la taxe sur l’essence ?

Oui, mais ce n’est pas tout. Je pense aussi à limiter l’étalement urbain et à interdire le dézonage de terres agricoles. Nos cibles actuelles ne sont pas sérieuses. Regardez l’interdiction de vente de véhicules à essence à partir de 2035. Ça se fera déjà naturellement. Le gouvernement s’en vante, mais il ne change à peu près rien.

Les pétrolières misent beaucoup sur la capture et le stockage de carbone. C’est une solution ?

Ça ne sert à rien de dépenser autant pour séquestrer les émissions d’un produit qu’on ne devrait plus consommer. Tous nos efforts devraient servir aux autres sources d’énergie. Au début de février, la pétrolière BP a écrit dans son rapport annuel que l’invasion de l’Ukraine et la nouvelle loi américaine anti-inflation vont réduire la demande mondiale pour le pétrole. Dans chacun des scénarios, le sommet de la consommation a déjà été atteint.

Et la Chine ? N’est-ce pas décourageant de faire des efforts quand on voit les émissions de l’empire du Milieu ?

Nous sommes plus riches que la Chine, nous polluons plus par habitant que les Chinois et nous sommes responsables historiquement d’une plus grande part des émissions mondiales de GES. On doit exercer un leadership moral. Si on ne le fait pas, ils auront moins de raisons de nous suivre. Et de toute façon, sur un plan strictement égoïste, la transition énergétique serait une bonne chose pour nous. On utilise mal nos ressources, on les gaspille, on s’appauvrit et on se rend malade. Pourquoi vouloir continuer comme ça ?

Cette interview a été remaniée à des fins de clarté et de concision.