Depuis l’arrivée au pouvoir à Québec d’un gouvernement nationaliste, les tensions avec Ottawa ont été nombreuses.

Désaccords linguistiques, refus d’octroyer des pouvoirs supplémentaires en immigration, conceptions différentes de la laïcité, affrontements sur le chemin Roxham, échec du financement de la santé, nomination de Mme Elghawaby malgré l’opposition unanime de l’Assemblée nationale, accrochages sur la loi fédérale sur les langues officielles et sur la loi sur le CRTC, refus d’instaurer une déclaration d’impôt unique, etc.

Plusieurs sources de ces tensions viennent de conceptions profondément différentes de ce que sont le Québec et le Canada. Si nous ne voulons pas continuer à aller d’affrontement en affrontement et, dans le cas du Québec, de défaite en défaite, il nous faut trouver des moyens, soit de régler nos différends, soit d’augmenter notre rapport de force.

Aujourd’hui, dans ce premier texte, je vous parlerai de la Constitution canadienne. Non, ne hurlez pas tout de suite, il faudra bien la rouvrir un jour, c’est une option à ne pas écarter trop vite.

Demain, je vous parlerai de l’autre Constitution, celle du Québec.

Avant de parler de Constitution canadienne, rappelons-nous ce qu’est une Constitution.

C’est la loi des lois. C’est le fondement légal de l’État. En adoptant une Constitution, le peuple lui abandonne en quelque sorte sa souveraineté, car après son adoption, en dehors des référendums, la Constitution prend le relais. C’est donc le contrat en vertu duquel, collectivement, on accepte de vivre ensemble. C’est également une des sources principales de l’identité des pays : on y définit des valeurs communes, les droits des citoyens qui l’habitent et on y détermine les moyens d’encadrer l’exercice du pouvoir et des contre-pouvoirs. C’est du lourd, comme on dit à Paris.

Depuis des années, quand quelqu’un propose d’ouvrir la Constitution canadienne, la réponse est presque systématiquement celle-ci : « Le fruit n’est pas mûr. » Pourtant, les raisons d’ouvrir la Constitution s’accumulent et je suis convaincu que le fruit n’est plus en train de mûrir, mais bien de pourrir.

Du point de vue de ceux qui croient à un avenir commun pour le Québec et le Canada, la première raison de rouvrir la Constitution serait de permettre au Québec de la signer en faisant enfin reconnaître sa spécificité nationale par le reste du Canada. La Constitution, comme la Charte des droits et libertés, a été imposée au Québec, c’est déshonorant pour le Québec, mais également pour le Canada, un pays dont le fondement démocratique est, justement, sa Constitution.

L’autre question nationale, celle des autochtones, impose, elle aussi, de la rouvrir. Les nations autochtones n’y sont pas reconnues comme entités politiques, car le Canada n’y est pas défini comme un État plurinational.

Si l’on veut un jour sortir des vœux pieux et des déclarations de principes envers les autochtones, nous devrons définir nos liens de nations à nations ainsi que nos pouvoirs respectifs : cela se fait dans une Constitution.

Mais ce n’est pas tout. Nous sommes toujours une monarchie. La disposition de dérogation fait débat. Le partage des pouvoirs est mal fait et nous coûte cher. Le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral (dont la Constitution écrite ne parle même pas) est hors de contrôle et change la nature même du fédéralisme en transformant les provinces en sous-traitantes du gouvernement central. Les intrusions du fédéral dans les compétences provinciales exaspèrent les provinces, d’est en ouest. Les municipalités restent des créatures des provinces et seul un changement constitutionnel peut y remédier. La réforme du Sénat reste à faire. La Constitution affirme toujours que « le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu… », seule la version anglaise de la Constitution de 1867 est valable, etc.

Ces débats constituent des obstacles à la création d’un Canada à l’image des nations qui le composent et, au moins dans le cas du Québec et des nations autochtones, un frein à leur volonté de s’épanouir à leur façon.

Devant cette liste de problèmes à régler, une liste très incomplète, on peut faire semblant que le fruit a besoin de mûrir, mais, en toute honnêteté, on devrait plutôt reconnaître qu’il pourrit de plus en plus.

Et c’est pire que ce que vous pensez. Non seulement le fruit pourrit, mais encore nous le tripotons durant le processus.

En effet, le fédéral a modifié unilatéralement la Constitution à plusieurs reprises depuis le début de la Confédération (notamment en 1943 pour ne pas avoir à augmenter le nombre de sièges pour le Québec aux Communes). Le Québec a fait la même chose pour affirmer l’existence de la nation québécoise, déclarer le français comme langue commune et abolir le serment au roi d’Angleterre.

Toutefois, la Cour suprême reste, de loin, la principale voie d’amendement de la Constitution. Au gré de ses jugements, elle change la Constitution en l’interprétant et même en la réinterprétant, c’est-à-dire en lui faisant dire des choses qui n’y sont pas écrites, pour l’adapter à la société moderne. Le décalage entre la Constitution écrite et la réalité s’accroît donc constamment, et ce, sans processus politique qui légitimerait ces changements. C’est ce qui s’appelle le gouvernement par les juges.

Gouvernement par les juges, actions unilatérales des provinces ou du fédéral, toutes ces actions fragilisent aussi la légitimité du document. L’ancien sénateur André Pratte allait jusqu’à dire que « la Constitution du pays brûle ». En effet, que vaut une Constitution, une loi des lois, si on peut la changer sans l’accord du peuple dont elle tire sa légitimité ? Quand une Constitution pourrit, c’est le fondement du pays qui est atteint.

Le Canada devra un jour avoir le courage d’essayer de se donner une Constitution à l’image de ce qu’il est aujourd’hui. Le Québec, lui, peut préparer le grand soir, ce qu’il hésite encore à faire, ou tenter quelque chose d’inédit : se donner sa propre Constitution, même en restant dans le Canada.

À lire demain : « Constitution du Québec : le fruit est mûr »