Il y a deux semaines, autour des Grammy, des photos de Madonna ont circulé. Traits bouffis et changés, elle était littéralement méconnaissable. Les commentaires cruels ont fusé sur les réseaux sociaux. Les hypothèses les plus aimables avançaient qu’elle faisait de son propre corps une œuvre expérimentale. Les autres crucifiaient son refus de vieillir et parlaient de chirurgie botchée. Gros malaise. Pas par rapport à la face de la madame, c’est de ses affaires, mais face à ce bar ouvert de misogynie et d’âgisme, ce festival de l’insulte.

Quand une femme décide de retoucher son corps, ça la regarde. On n’a pas à juger. De toute façon, les femmes qui sont dans l’œil du public vivent dans un piège. Celles qui ne font rien sont conspuées, et celles qui ont recours aux artifices sont jugées. Un parfait catch 22. La burqa de chair dont parlait Nelly Arcan. Madonna a donc passé une mauvaise semaine. À 64 ans, elle porte le poids des apparences et celui de l’âge. En gros, une dame de son âge devrait faire des confitures dans sa cuisine. Trop vieille, trop retouchée pour apparaître en public.

Ce sujet me touche particulièrement. J’ai dépassé le fatidique 55 ans. Je sais que je n’ai plus ma place à la télé, ce qui me questionne beaucoup.

Aurais-je prolongé ma « durée de vie » si j’avais eu recours à la chirurgie et au Botox ? Je ne crois pas. Car il règne dans le milieu de la télé une réelle croyance : celle que quelqu’un de « vieux » ne peut plus s’adresser à des gens plus jeunes. Des femmes (et beaucoup d’hommes) matures et compétents sont écartés de projets dans les officines de direction, avec des mots affligeants. Et il FAUT attirer le public de 25 à 54 ans, le cœur de la cible publicitaire. Ce préjugé est-il valide, au moment où, anyway, les jeunes se détournent en masse du petit écran ? Les diffuseurs travaillent-ils contre le bien commun, qui voudrait que toutes les générations se côtoient, pour le bien de tous ?

L’animatrice Marie-Claude Barrette a eu jeudi dans une entrevue⁠1 ces mots limpides : « On parle beaucoup d’être plus inclusifs avec les communautés culturelles ou les corps différents, mais on n’est pas inclusifs avec l’âge du public qu’on vise. » Ni avec l’âge tout court. Et, comme par hasard, la loi du double standard frappe fort, ici. On est impitoyables envers les femmes qui vieillissent à l’écran. Notre apparence ne nous appartient plus : elle appartient à la société.

Le féminisme intersectionnel actuel se préoccupe-t-il des questions soulevées par l’âgisme envers les femmes ? « Toutes les minorités », mais pas celle de l’âge. Pourtant, le vieillissement est le lot de tous et, plus violemment, de toutes.

Il y a dans cette façon de voir la question de l’âge comme étant une responsabilité individuelle quelque chose de profondément néolibéral. Le Botox, les injections, le remplissage, la chirurgie sont une manière de privatiser le vieillissement, de prolonger notre valeur sur le marché. Les soins sont un investissement sur notre propre marchandise. Il faudra pourtant penser le vieillissement autrement : pas une chute individuelle, mais un phénomène collectif et universel, démographique, social, politique.

Si on habitue l’œil – et le discours – à voir, entendre plusieurs âges se côtoyer dans les médias et dans la société, une normalité s’installerait. En attendant, une femme qui fait son âge doit s’attendre à se faire invisibiliser.

Je l’ai déjà écrit, la société québécoise est particulièrement dure avec ses vieux. Elle l’a été durant la pandémie, avec les aînés les plus vulnérables, qu’on a laissé mourir dans l’indifférence et dont, malgré le scandale de la résidence Herron, on se désintéresse encore aujourd’hui. Mais le qualificatif « vieux », dans les médias, le showbiz et dans de plus en plus de domaines, tend à s’appliquer tôt, dès 55 ans. « OK BOOMER », cette méprisante interjection très 2020 n’est pas tombée du ciel. « Ta gueule, grand-père, au garage ! »

L’âge est une frontière. On n’aime pas les aînés de 80 ans, mais pas plus ceux qui sont en processus de vieillissement. C’est très parlant. Une société qui se pense en groupes d’âge clos, en générations imperméables, nous dit qu’elle se fout du dialogue. Le passé, l’expérience, la durabilité ne sont pas désirables. Le passé est obsolète. Vieilles pierres ou vieilles peaux ; votre sort est précaire. L’accélération de la vitesse de remplacement des générations et leur catégorisation nous indique que le rythme n’est pas prêt de ralentir. Millénariaux, craignez le pire : les Z seront impitoyables avec vous…

L’âgisme est une plaie. Madonna et Marie-Claude Barrette ont tout compris, mais réagissent différemment. La première fuit en avant, et c’est son privilège. L’autre, sans naïveté, appelle la société à faire preuve de plus d’ouverture et d’empathie. Je suis résolument #teamMarieClaude.

1. Lisez la chronique d’Hugo Dumas : « Qui regarde encore la télé du matin ? »