(Berlin) Quand elle était enfant, Zoé Pelchat aimait regarder des films de Steven Spielberg avec son père. Lundi, la jeune cinéaste québécoise a présenté en première mondiale son film Gaby les collines au Festival international du film de Berlin. Mardi, le cinéaste de Schindler’s List et The Fabelmans recevra un Ours d’or honorifique de la Berlinale.

« Jurassic Park était l’un de nos films préférés. On l’a regardé tellement souvent. Je pense que mon père, qui adorait Steven Spielberg, aurait été fier de me voir ici », me dit Zoé Pelchat, un sanglot dans la voix.

Le père de Zoé, Martin, fut un de mes mentors à La Presse. Il était chef de division lorsque j’étais un jeune journaliste aux informations générales. C’était, comme le veut le mot allemand dans son interprétation yiddish : un mensch (un homme d’intégrité et d’honneur). Un leader calme, apprécié et respecté dans la salle de rédaction. Un pilier de l’ombre, au sens de l’humour aiguisé et au jugement sûr, qui fut cadre, au Soleil et à La Presse. Il a été emporté par un cancer en 2020, à 58 ans.

Martin avait été bien ému lorsque sa fille avait remporté le Prix de la meilleure série digitale au Festival Canneseries pour sa websérie Domino, en 2018. Le précédent court métrage de sa fille, Lune, a été sélectionné en compétition au prestigieux Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand en 2020, avant d’être présenté dans une quarantaine de festivals. Mais elle n’a pu l’accompagner nulle part en raison de la pandémie. Même pas au Québec.

La cinéaste de 33 ans, formée en communications à l’Université Concordia et en réalisation à l’INIS, a pu voir, pour la toute première fois, un de ses films professionnels en compagnie d’un public. Plusieurs artisans de Gaby les collines sont sur place à Berlin, parmi lesquels la monteuse Amélie Labrèche (Nadia Butterfly, Noémie dit oui), qui a eu l’honneur d’être choisie cette année parmi les « jeunes talents » de la Berlinale.

Il y a pire, comme baptême du feu, qu’une première mondiale dans l’un des quatre plus grands festivals de la planète. « C’était merveilleux ! dit Zoé Pelchat. J’ai adoré ça. Le cinéma [Zoo Palast] est magnifique, tout de velours rouge avec un rideau plissé doré. Je n’ai jamais vu quelque chose comme ça ! »

Elle n’a pas dormi la veille de sa première, trop fébrile à l’idée d’enfin rencontrer son public. Gaby les collines, qui met en vedette la jeune Lou Thompson, a été sélectionné dans la section Generation de la Berlinale, destinée à un jeune public. Celui de lundi était particulièrement réceptif. « Il y a une bande d’ados qui a demandé des autographes à Lou après la projection. C’était vraiment touchant. »

Le court métrage de Zoé Pelchat, un récit initiatique comique et charmant, subtil et pertinent, raconte l’histoire d’une adolescente montréalaise de 13 ans qui visite comme tous les étés son père (Emmanuel Bilodeau) aux Îles-de-la-Madeleine. Mais cet été ne se présente pas comme les autres…

« C’est un film sur le décalage que l’on peut vivre avec son corps au moment de la puberté, explique l’auteure-cinéaste. Le corps de Gaby s’est développé plus vite qu’elle et elle n’est pas préparée à gérer les regards et les réactions qu’il suscite chez les autres. »

Celui qui réagit le plus fortement est son ami d’enfance, « Fourmi » (Gaspard Chartrand), avec qui elle voudrait jouer au soccer comme d’habitude, mais qui la repousse, intimidé par cette rouquine qui le dépasse désormais de deux têtes. D’autres adolescents lui jettent plutôt des regards concupiscents ou s’inspirent de sa silhouette pour composer des chansons grivoises. Car oui, les collines dont il est question dans le titre du film font bien référence à la poitrine de Gaby.

« Ton corps, c’est un champ de bataille », lui dit sa belle-mère (Catherine De Léan), après lui avoir offert une robe d’été échancrée qui fait son effet sur le jeune serveur du restaurant (Robin L’Houmeau). Le cégépien constatera, au fil de leur conversation, que Gaby est moins mature qu’elle n’en a l’air.

La phrase sibylline au cœur de Gaby les collines est inspirée de l’œuvre Your Body Is A Battleground de l’artiste américaine Barbara Kruger, m’explique Zoé Pelchat. « Le corps de la femme a toujours été très politisé. C’est un symbole de beaucoup de combats. Le film parle des négociations qu’on doit faire comme femme avec tout le monde, depuis le plus jeune âge. »

La cinéaste a eu, contrairement à Gaby, une puberté tardive et une adolescence plutôt torturée. « J’ai travaillé pendant presque dix ans dans la restauration. C’était avant #metoo. Des microagressions, des commentaires sexistes, j’en ai vécu comme toutes les femmes en vivent. Dans une société plus égalitaire que d’autres comme le Québec, ça se présente de manière plus pernicieuse. »

À l’image du personnage d’Emmanuel Bilodeau dans son film, un père à la fois aimant et investi, Zoé Pelchat a remarqué sur le plateau de tournage de Gaby les collines la présence rassurante de plusieurs pères, dont ceux de certains acteurs et membres de l’équipe technique.

« Il y avait plein de papas ! Je sentais que mon père était là », dit la réalisatrice, dont le prochain court métrage, Atlantis, sera présenté au festival Regard sur le court, le mois prochain. Zoé Pelchat a aussi dans ses cartons un projet de long métrage, sur l’histoire de son frère, cueilleur de fruits dans la vallée de l’Okanagan.

Sa famille l’inspire. J’ai remarqué, ému, à la toute fin du générique de Gaby les collines, ses remerciements à « l’incomparable Martin Pelchat ». C’est un adjectif qui le décrit bien, je trouve. Je suis sûr que ton père serait très fier, Zoé.