Tout semble avoir été dit, écrit, commenté à propos de l’affaire Elghawaby. Pourtant, en privé comme en public, plusieurs ont encore beaucoup à dire sur l’état du champ de bataille après plus d’une semaine de salves et de luttes. Il y a de la boue et des cicatrices, et on n’a pas fini de compter les victimes.

Déjà, on entrevoit le résultat de 10 jours de guerre des mots : des excuses soutirées à Amira Elghawaby qui ne seront jamais aussi sincères que plusieurs le souhaitaient, des multiculturalistes renforcés dans leur certitude que le Québec est raciste.

Les habituels adeptes du Québec bashing sont crinqués, les tenants de la laïcité poussent de hauts cris, mais pas que : une grande partie du Québec francophone se sent outrée. Les rives entre les ponts qui devaient être construits par le poste idéologique de chargée de la lutte contre l’islamophobie se sont éloignées, et pas qu’à propos de la question de l’islam.

Dix jours plus tard, on se dit que Justin Trudeau multiplie les tentatives d’incendie du climat social au Québec en toute connaissance de cause. Il y a deux semaines, il mettait la table en annonçant son intention d’interroger la Cour suprême sur l’utilisation de la disposition de dérogation sur les lois 21 et 96.

M. Trudeau savait fort bien, en nommant une musulmane pratiquante qui, dans ses écrits et ses prises de parole, n’a jamais été tendre envers le Québec, qu’il allait causer une levée de boucliers dans le Québec francophone non multiculturaliste. Ça a même gueulé dans son caucus québécois. Il n’y a qu’à voir comment Boucar Diouf1 et Maxime Pedneaud-Jobin2, auteurs de textes légitimes sur la nomination de Mme Elghawaby, ont vu des hordes haineuses se déchaîner. Et que dire des réactions du ROC (rest of Canada).

Le PM, habituellement mou et inconséquent, est pourtant, depuis quelque temps, intraitable envers le Québec. Ça commence à ressembler à un leitmotiv, cette façon de surfer sur le néo-Québec bashing, d’entretenir la méfiance, voire la hargne envers une province dépeinte comme colonialiste, raciste, les deux tares suprêmes au pays de l’inclusion identitaire, comme si le ROC y échappait…

Ces gestes sont délibérés et calculés. D’abord la création du poste litigieux, puis la manière de livrer le Québec en pâture aux « québécophobes ». L’idée étant de jouer dans la tête, dans l’image que les Québécois ont d’eux-mêmes, puis surtout, dans celle que le ROC a de nous : des intolérants et des racistes.

Sans compter comment Trudeau est en voie de modifier le tissu social québécois, dans les faits. En laissant les conséquences de l’ouverture massive du chemin Roxham à la charge du Québec, il commet une autre insensibilité. Il sait qu’il hypothèque des services sociaux, scolaires, des ressources en logement en extrême tension sans en gérer la difficile opérabilité au quotidien.

Il joue sur le sens de l’accueil pourtant proverbial des Québécois, nous fait passer (et le gouvernement Legault) pour un peuple hostile à l’immigration, alors que c’est faux, et qu’il serait bien temps que le fédéral, même s’il paye une substantielle partie de la facture générée, voie son sens des responsabilités l’emporter sur son cynisme.

Alors, en grand architecte, goguenard, Justin Trudeau observe le résultat de ses actes délibérés. Le terrain est dévasté. Un double fossé a été ouvert : entre les musulmans et les autres Québécois, entre le Québec et le Canada.

Dans l’angle mort, des musulmans dont on parle peu ; ceux qui sont pourtant majoritaires au Québec et au Canada, d’ailleurs, qui sont religieux (ou pas), et quand ils le sont, ne se revendiquent pas d’un islam strict et politique. Ils aspirent à vivre en paix, comme Québécois et Canadiens.

Ça doit bien les froisser qu’on ait pensé à créer un poste unique de chargée de la lutte contre l’islamophobie, que le gouvernement fédéral les assigne et les réduise TOUS à leur religion, et encore, dans ses aspects les plus rigides, et qu’il croie que ce soit la manière idéale de créer des ponts.

Singulariser à ce point les musulmans, alors que la religion n’est pas, pour la majorité d’entre eux, leur essence, est réducteur pour eux et insultant pour la société d’accueil, grandement ouverte, que l’on soupçonne du pire. La majorité des musulmans s’en fait passer une petite vite, ici…

Ce qui commence à émerger de cette désolation est que Justin Trudeau se fout pas mal du Québec. Pire : il méprise le Québec. Il croit qu’il n’aura pas besoin de lui aux prochaines élections. Il courtise cheapement le reste du Canada, qu’il a déjà bien modelé en son rêve d’État postnational, où toutes les cultures viennent annihiler l’idée de peuples fondateurs.

L’avenir dira si son calcul s’est avéré juste. Mais entre-temps, malgré le tollé québécois, Trudeau a bel et bien remporté une manche, de la plus vile façon.

1. Lisez la chronique de Boucar Diouf 2. Lisez la chronique de Maxime Pedneaud-Jobin