Le gouvernement de la CAQ a annoncé la semaine dernière, par la voix du ministre Jean-François Roberge, la création d’un comité chargé de remédier au déclin du français. Afin de nourrir la réflexion et de stimuler le débat, j’aimerais soumettre quelques propositions.

Mais avant tout, deux précisions, à l’intention de ceux et celles qui hésitent encore à aborder la question de front.

1) La langue n’est pas un enjeu de droite ou de gauche, n’est pas l’affaire des conservateurs ou des progressistes, mais le degré zéro du lien social et politique. Quelles que soient nos préférences et nos convictions, nous avons besoin d’une langue commune pour nous comprendre, y compris pour comprendre que nous ne nous comprenons pas ! Aussi, défendre la langue ne revient pas à « choisir son camp » ou à faire le jeu de ses adversaires, mais à tenter de rassembler le plus grand nombre de gens possible autour de cette nécessité toute simple : celle d’une langue partagée.

2) La langue n’est pas l’identité ni le problème de ceux qu’on appelle les « identitaires », mais cela même qui permet de dire son identité. La langue ne doit pas être défendue comme une fin, mais comme un moyen.

On ne défend pas une langue pour préserver une identité particulière, mais pour préserver la possibilité d’exprimer toutes les identités.

Maintenant, les propositions.

1) La qualité de la langue part d’en haut : il faut intégrer dans la formation des futurs enseignants des cours de français, quel que soit leur niveau d’enseignement ou leur discipline. Il faut également assurer une formation continue pour permettre aux enseignants déjà en exercice de rafraîchir leurs connaissances. De cette manière, l’évaluation du français deviendra vraiment l’affaire de tout le monde, et pas seulement la charge des enseignants de français (et de quelques-uns de leurs alliés précieux). Et pourquoi ne pas créer des prix pour saluer l’excellence en français, aussi bien celle des élèves que celle des professeurs ? Pour accepter cette idée, il faut cesser de confondre la recherche d’excellence avec le snobisme. Bien parler, bien écrire, ce n’est pas se prendre pour un autre, c’est rechercher le meilleur, où qu’il soit.

2) Augmenter le temps consacré à l’enseignement du français, au primaire et au secondaire. Oui, il faut du temps pour maîtriser une langue. Les élèves doivent s’exercer, répéter, se corriger et être corrigés. Et il n’y a pas de miracle : il s’agit d’apprendre à faire ses gammes, en acceptant que cet apprentissage ne soit pas forcément excitant ni ne puisse être remplacé par les travaux d’équipe et la pédagogie par projets. Et il faut se demander si la décision d’implanter l’enseignement de l’anglais dès la première année du primaire, il y a une quinzaine d’années, contre l’avis même des experts, n’explique pas en partie la récente baisse de performance en français écrit, chez des élèves qui font partie des premiers à avoir vécu ce changement.

3) Impliquer les immigrants, les fils et filles d’immigrants dans les discussions et les décisions, en reconnaissant d’emblée qu’ils ne font pas partie du problème, mais de la solution. Le Québec a besoin d’eux, ils font partie de « nous ». Certes, on peut choisir de privilégier l’immigration francophone, mais il ne faut pas rejeter ni dévaloriser les autres immigrants, ceux qui ont dû apprendre le français ou l’apprennent en ce moment.

Dans mes classes, depuis une dizaine d’années, je constate (et je suis loin d’être le seul) que plusieurs de mes meilleurs élèves en français s’appellent Zhang, Regoli, Salem, Yip, Almeida, Nguyen, etc.

La langue maternelle de ces élèves n’est pas le français, et pourtant ils sont là, veulent contribuer. C’est un signe que la loi 101 n’a pas tout raté. Pourquoi se priver de leur apport ? Pour cela, il faut éviter d’ériger des murs là où il y a des passerelles, en reconnaissant que la statistique de la langue maternelle ne dit pas tout.

4) Étendre la 101 au cégep. Pourquoi ? Parce que le cégep fait partie intégrante du modèle québécois, que les cours de philosophie et de littérature québécoise, entre autres, contribuent à l’édification d’une culture commune, de références partagées. Il faut aussi reconnaître que la langue d’étude au cégep a une incidence sur la langue des études universitaires et la langue de travail, qu’il n’est pas sain que la majorité des diplômes collégiaux préuniversitaires sur l’île de Montréal soient actuellement décernés en anglais (autour de 52, 53 %) (à cet égard, l’actuel projet de loi 96 ne règle rien : il accentue l’écrémage déjà en cours en faveur des cégeps anglophones). Et pourquoi ne pas augmenter le soutien aux universités francophones, elles qui, à l’échelle nord-américaine, doivent relever un défi particulier en matière de recrutement étudiant et de rayonnement ?

5) Créer un passeport culturel destiné à tous les nouveaux citoyens, aussi bien les jeunes qui atteignent l’âge de 18 ans que les nouveaux arrivants. Le droit de vote et la citoyenneté devraient venir avec la possibilité de mieux connaître la chanson, le théâtre, le cinéma et la littérature d’ici, de découvrir à quel point la culture québécoise actuelle est vibrante et créative. Face au rouleau compresseur des GAFAM, il faut se donner les moyens d’exister.