Ça faisait longtemps que je voulais revenir ici. Je m’y trouve pour m’inspirer pour le prochain tome de mon roman Nish. Il aura fallu 22 ans.

La première fois, c’était dans un échange étudiant que j’avais organisé entre les écoles de ma communauté, Wendake, Matimekush et Kawawachikmach. Kawawa-quoi ? Ces noms de communautés autochtones vous sont sans doute inconnus et je vous rassure, ce n’est pas anormal. Et si je vous disais qu’elles sont situées aux abords de la ville de Schefferville, ça aide un peu ? Mais avouez que même cette ville minière, rendue célèbre par une chanson du même nom portée par Michel Rivard, une ville pourtant bien québécoise, se veut difficile à situer sur une carte.

Nous sommes donc tout près du 55e parallèle, aux portes du Nunavik, au nord, et du Labrador, à l’est. Je me suis posée à l’Auberge Guest House, celle-là même qui a vu mourir Maurice Duplessis dans la chambre numéro 2, des suites d’un AVC.

Le lieu est assurément rempli d’histoire. Cette semaine, Innus, Cris et Naskapis écrivent aussi l’histoire, ou du moins, en tracent le chemin.

Les lieux ont peu changé en deux décennies. Il y a de nouvelles infrastructures, certes : un aréna chez les Naskapis de Kawawachikamach, un centre de santé aussi, mais dans l’ensemble, je sais où je suis. Le restaurant du coin est toujours aussi achalandé à l’heure du lunch. Les chiens libres courent dans les rues. Moi qui crains un peu les chiens, ici, ce n’est pas pareil. La liberté fait du bien.

PHOTO FOURNIE PAR L’AUTEURE

« Vu d’ici, le monde est beau. »

J’ai hâte de voir mon premier renard ou lièvre blanc – tout s’adapte à la nature si haut – et si je suis chanceuse, quelques aurores boréales peut-être. Il y a quelques jours, quelqu’un a pris la photo d’un ours noir en haut du réservoir Caniapiscau. Pas normal à cette période de l’année.

Ce matin, il fait -43 °C. Enfin !

J’arrive en même temps qu’une délégation importante pour une réunion qui porte principalement sur la gestion du caribou et le partage du territoire. Une réunion signifiante pour tous, peut-être encore plus pour les Innus de Matimekush-Lac John, qui attendaient cette rencontre avec les Cris Eeyou depuis 47 ans, date qui correspond à la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, dont ils ne sont pas signataires. Je ne savais pas qu’une telle réunion se tenait ici cette semaine, c’est un hasard. J’ai souvent beaucoup de chance.

En 2017, Cris Eeyou, Naskapis, Inuits et Innus se sont dotés d’une stratégie de protection du caribou. C’est que le caribou fait partie du mode de vie de ces peuples depuis des millénaires.

À preuve, hier, quand je suis arrivée, une large cuisse dégelait sur une table de l’aréna où je me trouvais, un lieu qui sert aussi de salle communautaire. Les aînés du village ont préparé le caribou pendant de longues heures, montrant aux plus jeunes les bonnes pratiques. Ils ont gardé les pattes, la fourrure, les os. Ils savent quoi en faire. On ne jette rien de l’animal qui s’est donné à nous.

Mais le caribou est un être libre. Il ne connaît pas les frontières. Il se trouve tantôt en territoire naskapi, innu, cri ou inuk. Quoi qu’il en soit, tous constatent que les cheptels baissent année après année.

Je ne vous assommerai pas de statistiques, mais il y a à peine 15 ans, les troupeaux couraient sur la montagne que je vois de ma chambre. Aujourd’hui, il faut parcourir de longues distances pour en apercevoir. S’il existe encore des désaccords sur les différents territoires entre les nations, des chevauchements – terme introduit par les gouvernements, précisent certains chefs –, tous savent qu’il faut protéger l’animal. Ce sont eux, après tout, les gardiens du territoire.

Une réunion de près de trois jours pour mieux se reconnaître, se parler, protéger un animal et les modes de vie traditionnels associés, ça m’émeut. Il y a quelque chose de l’ordre de la noblesse dans tout ça. De l’humilité, à tout le moins. Les aînés l’ont dit : « C’est le caribou qui nous rassemble aujourd’hui. »

Certains devraient en prendre de la graine. Vivre en harmonie avec le territoire, c’est ça. C’est respecter les êtres vivants qui s’y trouvent, les aimer assez pour faire les efforts qu’il faut pour leur survie. C’est comprendre l’équilibre fragile des écosystèmes, de ce qui nous entoure et agir, même quand cette fragilité n’est pas causée par nous. Alors que je m’égosillais à en nommer les causes à coups de sourcils qui froncent, une aînée me disait que l’heure n’est tout simplement plus à montrer du doigt. Il n’y a pas de respect dans la colère et si on ne respecte pas, on n’écoute pas et on ne pardonne pas. Et tout doit partir de là.

Je rêve parfois, souvent, même. J’aimerais amener tous les députés et autres élus, les PDG des mines, des compagnies forestières et polluantes, certains chasseurs aussi, faire un stage d’un mois avec des aînés en territoire. Je suis convaincue que les choses seraient différentes ensuite. Un mois pour changer le monde.

Vu d’ici, le monde est beau. Les lacs, les montagnes, les épinettes et les trembles, même épars ou petits, le son des loups parfois, la beauté du ciel étoilé, des aurores qui dansent.

La richesse, elle est ici, à l’autre bout du monde.