L’ex-députée Paule Robitaille a parcouru l’Europe ces dernières semaines, dont plusieurs villes ukrainiennes, afin de rendre compte des impacts concrets de l’invasion russe. Elle signe aujourd’hui son dernier texte.

(Rome, Italie) À Rome, je ne vois pas de drapeau ukrainien qui flotte au côté du tricolore italien. Contraste avec Paris, Munich, Varsovie, Riga ou Tbilissi où la solidarité nationale s’affiche sur les immeubles gouvernementaux, dans les restaurants, sur les murs en graffitis, dans les ruelles, partout. Est-ce une conséquence de l’ambiguïté face à la guerre de certains membres de ce gouvernement néo-fasciste ? Et puis, tout à coup, je lève la tête via del Corso et je lis, tout illuminé dans la langue de Dante : « L’humanité doit mettre fin à la guerre, sinon c’est la guerre qui mettra fin à l’humanité. » Sages paroles. Mais on y arrive comment ?

  • Rue del Corso, à Rome : « L’humanité doit mettre fin à la guerre, sinon c’est la guerre qui mettra fin à l’humanité. »

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    Rue del Corso, à Rome : « L’humanité doit mettre fin à la guerre, sinon c’est la guerre qui mettra fin à l’humanité. »

  • Une pensée pour la paix en Ukraine dans la basilique San Bartolomeo all'Isola, à Rome

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    Une pensée pour la paix en Ukraine dans la basilique San Bartolomeo all'Isola, à Rome

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Vladimir Poutine souhaite aussi mettre fin à la guerre, mais à sa manière, dans son dessein impérial. Avant ce périple, je croyais naïvement qu’une paix pouvait être négociée au prix, pour les Ukrainiens, d’abandonner la Crimée ou le Donbass. Plus maintenant. On ne négocie pas avec le diable comme il était inconcevable de régler la Seconde Guerre mondiale en serrant la main d’Hitler. La menace nucléaire est un bluff qu’il faut relativiser.

L’invasion russe en Ukraine a été une grande folie, comme un acte manqué, qui a mis à nu les faiblesses de ce « colosse aux pieds d’argile », mais qui rugit toujours au prix de combien de vies humaines ? Parce que la victoire qu’il croyait facile s’est muée en match nul. Comme les chefs des empires d’une Première Guerre mondiale qui refusaient la souveraineté des nations mais qui savaient qu’ils allaient perdre, Vladimir Poutine s’accroche parce qu’il sait que d’arrêter à mi-chemin serait sa descente aux enfers. Comme le demandait le président Zelensky dans son discours historique au Congrès américain, il faut aider l’Ukraine à sortir de « ce combat gelé ».

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Sur le mur d’un immeuble de Lviv, cette murale : « Je t’attendrai, je t’attendrai jour et nuit, je t’attendrai jusqu’à ton retour. »

À tous les jours, durant mon séjour en Ukraine, j’ai entendu des sirènes prévenant d’une attaque de missiles. J’ai vu aussi le désarroi du maire de Lviv constatant qu’il n’avait plus que la moitié de ses réserves d’énergie pour passer l’hiver. J’ai vu des gens déterminés à tenir le coup même si le manque d’électricité pouvait les terrasser de froid. J’ai vu aussi de vieilles dames médaillées de l’Union soviétique pleurer parce qu’elles ne comprennent plus rien, traumatisées par un retour des combats dans leur patelin. J’ai rencontré des femmes amputées qui avaient perdu leur maison et d’autres qui ont perdu leur mari tué par des soldats russes, à bout portant. J’ai vu des combattants éclopés qui, malgré les blessures, continueront de se battre. L’un d’entre eux courra même un marathon. Et il y a tous ces sévices et ces tortures.

En moins d’un an, les victimes de cette guerre, morts ou vivants, Russes ou Ukrainiens, se comptent par centaines de milliers. Et dire que la Russie planifierait une nouvelle offensive en janvier ou en février…

Ce supplice du peuple ukrainien doit cesser. Volodymyr Zelensky nous dit que la victoire de l’Ukraine doit être totale, « absolue ». Il a raison. Pourquoi ? Parce que la Russie doit être dépouillée de sa nature impériale. Sa forme actuelle nourrira toujours l’instabilité en Europe et menacera toujours ses anciennes colonies. En ce sens, cette guerre est aussi le combat de la Moldavie – prochaine dans la ligne de mire de la Russie – de la Géorgie, des peuples baltes et des pays de l’Europe de l’Est. C’est notre combat à nous tous. Il l’est aussi pour les Russes, subjugués au pouvoir répressif du Kremlin.

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À l’hôpital général de Lviv, un soldat ukrainien vient de recevoir sa prothèse. Il est déterminé à continuer à défendre sa patrie. 

Parce qu’en vous écrivant tout cela, j’ai une pensée toute spéciale pour mes amis russes libéraux, progressistes, exilés, pour tous les dissidents emprisonnés et d’autres bâillonnés en Russie. J’imagine aussi toute cette chair à canon, des dizaines de milliers d’hommes sacrifiés. Il ne faudrait pas mettre tous les Russes dans le même panier.

Partout où je suis passée, j’ai été témoin d’une russophobie sans pitié. C’est ce qu’a fait cette guerre impériale. Ironique parce que Poutine prétexte vouloir sauver les minorités russes. En déclamant vouloir annihiler la culture ukrainienne, ses soldats ont « cancellé » la culture russe partout dans l’ex-URSS et au-delà. Qu’est-ce que Tchaïkovski a à voir avec les délires de Vladimir Poutine ? Mais la haine nourrit la haine.

« L’art devrait être au-dessus de la politique, mais si les enfants ne sont pas au-dessus de la guerre, pourquoi l’art serait-il épargné ? », me disait un ami durant ce voyage.

Mon père, qui a servi durant la Seconde Guerre mondiale, disait que « le plus souffrant ce n’était pas ce qu’on nous faisait, c’était ce que la guerre avait fait de nous ». Terrible constat.

Je me réjouis donc que le Congrès américain ait approuvé cette semaine une aide de 45 milliards de dollars qui s’ajoute aux sommes colossales fournie par le gouvernement de Joe Biden. Sans eux, l’Ukraine aurait déjà perdu. Mais j’aurais espéré voir sur le terrain un engagement plus concret du Canada au-delà des belles paroles et des photo ops. Où va l’aide humanitaire annoncée de plus de 320 millions ? Bien beau les sanctions, mais il faudrait les appliquer sans exception. Et d’un point de vue militaire, nous qui logeons la plus grande diaspora ukrainienne, ne pourrions-nous pas faire plus ?

Les paroles de Winston Churchill prononcées le 27 octobre 1941 me semblent plus que jamais pertinentes : « N’abandonnez jamais… n’abandonnez jamais en rien, si ce n’est pour l’honneur et le bon sens. Ne cédez jamais à la force. Ne cédez jamais à l’apparente puissance de l’ennemi. »

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Résilience tout ukrainienne : malgré les alertes aux missiles, le Grand Ballet de Kyiv continue ses activités.

Churchill avait eu raison. Les Alliés en 1945 ont gagné la guerre. Et ensuite, malgré les rivalités éternelles, les destructions et les violences passées, l’Union européenne est parvenue à réunir les ennemis jurés. Aujourd’hui, la France et l’Allemagne sont partenaires, comme quoi tout n’est-il pas possible ?

Alors, à la veille de Noël, permettez-moi de rêver de paix. C’est ce que je souhaite un jour à l’Ukraine, à la Russie, à la Géorgie, aux républiques baltes, à celles d’Asie centrale. Je leur souhaite la fin des despotes, des horreurs, des combats fratricides, de la grande misère. Je souhaite à ce coin du monde une communauté des nations, non plus soviétique, mais une union de véritables démocraties et de peuples souverains, décomplexés et tolérants.

Joyeux Noël à tous et à toutes !

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