Depuis que nos ancêtres se sont sédentarisés au néolithique, dans la très grande majorité des sociétés humaines, les hommes ont imposé leur domination sur les femmes. Encore aujourd’hui, dans beaucoup d’endroits sur la planète, la frontière entre aimer une femme et posséder une femelle est toujours très poreuse. Mais, dans nos sociétés dites de droit où l’égalité est un objectif, voilà que des attardés militent en plein jour pour la domination masculine.

J’ai eu un énorme choc après avoir entendu Marie-Emmanuelle et Florence-Olivia Genesse, que j’ai croisées à Tout le monde en parle, raconter la violence des propos qu’elles reçoivent sur les médias sociaux. Elles ont dit gérer en moyenne 10 menaces de mort par jour. Pourquoi ? Parce que ces influenceuses qui ont popularisé un signe de main qui permet aux femmes de demander discrètement de l’aide en cas de détresse ont le courage de dénoncer, sans complaisance, la misogynie sous toutes ses formes. Cette néo-misogynie, souvent portée par des jeunes qui se sont fait laver le cerveau par des esprits rétrogrades, me fait peur. De ces cybermisogynes organisés en clans, il y a ceux qui se disent des mâles alpha et évoquent un certain ordre naturel pour défendre leur projet de suprématie masculine combiné à des prétentions racialistes.

Il est plus qu’important pour les parents d’empêcher leurs enfants d’entrer en contact avec ces gourous qui prêchent leur haine des femmes dans les médias sociaux. Permettez-moi ici de m’accrocher à la nature, comme ils aiment bien le faire, pour essayer de leur faire comprendre que leur vision de ce qu’est un mâle alpha est une honteuse caricature.

Oui, le mâle alpha a besoin de bander ses muscles et garder sa position devant les mâles satellites qui veulent prendre sa place, mais il n’est jamais une brute au service de la domination des femelles, comme le croient ces énergumènes.

Chez les loups, qui semblent être leur modèle à copier, la grande spécialiste Elli H. Radinger, autrice de La sagesse des loups, raconte que lorsqu’une décision est vraiment cruciale, c’est la femelle alpha qui tranche. C’est elle qui décide du lieu, du moment ou de la façon d’organiser la chasse, mais aussi de l’endroit où creuser la tanière. Ici, le mâle alpha est bien plus un chef qui veille à la cohésion sociale qu’un porteur d’une génétique de brute sur son chromosome Y, qui l’amène, comme le croient ces misogynes, à rabaisser les femelles pour se donner l’impression de prendre de la hauteur.

Du côté des chimpanzés, qui sont nos très proches cousins simiens, même si les mâles se battent pour le pouvoir, ils savent aussi que ce sont les femelles qui font les rois. Ici aussi, la domination qui ne repose que sur la force physique n’est point durable. Comme le dit le primatologue Frans de Waal, appeler certains hommes des mâles alpha, c’est insulter les chimpanzés. Chez eux, le rôle d’un bon dominant est bien plus celui d’un conciliateur impartial au service de la paix dans le groupe. Il travaille même souvent à réconforter les plus faibles en cas de bagarre. À cause des coalitions possibles dans leur société bien complexe, un mâle plus fort physiquement peut rapidement devenir le plus faible. A contrario, un mâle moins imposant peut accéder à la chefferie. En cause, dit de Waal, s’il a le soutien des femelles et de bons amis et alliés qu’il rend heureux, le mâle le moins fort d’un groupe peut devenir le dominant.

Les mâles alpha qui terrorisent le reste du groupe, incluant les femelles, connaissent souvent une fin de règne rapide et brutale.

Ainsi, en 2017, les chimpanzés de Fongoli, dans mon Sénégal natal, ont défrayé la chronique scientifique internationale. Un mâle alpha surnommé Foudouko par le primatologue, qui régnait en tyran sur un groupe depuis 13 années, a été assassiné sauvagement par une coalition de jeunes mâles qui n’en pouvaient plus de subir sa brutalité. Son cadavre sera ensuite sévèrement mutilé par les autres, incluant des femelles. Ils sont allés jusqu’à lui arracher les parties génitales après sa mort. De quoi faire réfléchir les trolls qui tiennent à leurs schnolles…

Depuis l’aube de l’humanité, le pouvoir est très majoritairement un privilège masculin. Il est peut-être temps d’essayer autre chose que de chercher des chemins de contournement nébuleux pour restaurer la phallocratie. Si les exemples des loups et des chimpanzés n’arrivent pas à convaincre un cyber mâle alpha que sa vision est inepte, il peut aussi regarder du côté des bonobos, qui sont tout aussi proches de nous. Chez ces grands singes, le pouvoir se conjugue au féminin et leur société est naturellement bien plus paisible et égalitaire que les nôtres. L’évolution a amené ces grands singes « peace and love » vers un système matriarcal qui, sans être parfait, est peut-être l’exemple que gagneraient à singer ces misogynes qui sévissent sur la toile.

Il est absolument faux de penser que la nature est en faveur de la domination sans partage des mâles.

Pour s’en convaincre, il suffit de décrocher de son nombrilisme existentiel. Un peu plus de 50 % des espèces de la biodiversité animalière sont constituées d’insectes. Or, chez ce grand groupe, les insectes sociaux représentent les formes les plus évoluées. Qui est au centre de ces sociétés parmi les plus nombreuses et organisées de la création ? Des ouvrières et une reine. Pas de mâle alpha chez les fourmis, les abeilles, les termites et les guêpes sociales, qui sont des formes de vie animale parmi les plus importantes de la biosphère. Voilà un autre argument pour prouver que la misogynie desdits mâles alpha qui sévissent sur les réseaux sociaux relève bien plus de l’amplification par l’intelligence artificielle de l’imbécillité existentielle de certaines personnes. Ces groupuscules qui menacent de mort Marie-Emmanuelle et Florence-Olivia Genesse semblent indéniablement emprunter la voie d’une évolution régressive. Ne lâchez pas les filles, car la très grande majorité des porteurs du chromosome Y croit à votre cause et marche à côté de vous.