Je suis à Paris.

Pompeux, n’est-ce pas ? C’est fait exprès, pour être désagréable, autant qu’un serveur parisien.

Mais ça se laisse toujours bien choir dans une conversation, comme une feuille de platane dans la froideur d’un printemps !

Ça me fait ça, moi, Paris, je me prends pour Georges Brassens.

Mais j’y suis pour travailler, pas pour rimailler, alors ça ira pour les petites formules simplettes.

C’est aussi l’occasion de vivre un nouvel épisode de ma schizophrénie de Nord-Américain francophone. La psychiatrie de la chose m’a toujours fasciné.

Je suis membre d’un peuple fraîchement inventé, mais sûrement pas le créateur de cette expression. Un mesclun, résultat de plusieurs pousses et transplantations. Race de monde, rappellerait Victor-Lévy Beaulieu.

Et juste pour compliquer l’équation un tantinet, fils d’un père adopté. Cela dit sans misérabilisme ici, seulement pour fin d’analyse.

Ainsi, pour la généalogie, ça grippe.

Je serais même mûr pour cracher dans un p’tit bocal, et transmettre ma salive à un de ces charlatans qui analysera mon ADN et m’indiquera mes origines. Je gagerais que je finirai de sources bretonnes avec un soupçon de radicules iroquoiennes. Pas surpris, j’espère ? C’est comme un biscuit chinois qui vous écrit qu’une surprise agréable vous attend… O. K., mais quand ? Ou une cartomancienne qui vous avertit que quelqu’un songera à voler votre véhicule dans les trois prochaines années… O. K., mais quelle année, et le mois si possible ?

Je me suis souvent ausculté pour bien comprendre ce qui faisait que je me sentais tout aussi à l’aise Rive gauche, sur une terrasse du Quartier latin à Paris, comme présentement, à siffler une bouteille de rouge, que dans un pub irlandais de Manhattan, à souffler sur la broue d’une pinte de stout.

Pourquoi je m’extasie devant la subtilité de la bouffe française – les choux à la crème d’Odette dans le 5e – même dans les bouis-bouis les plus quelconques de l’Hexagone, tout en bavant devant une pizza sicilienne et mafieuse de New York. Corleone, sors de ce corps !

Et finalement, pourquoi je me laisse aussi facilement prendre par la frénésie d’un match du PSG au parc des Princes, toujours à Paris, qu’un autre des Packers, au Lambeau Field de Green Bay, ville autrement inexistante sans cette activité.

Ces deux demi-cerveaux qui forment le nôtre sont alimentés par deux réseaux rachidiens culturels différents : le gaulois et l’anglo-saxon.

Côté gaulois, là où je biberonne actuellement, j’aime rêvasser et m’imaginer l’effervescence intellectuelle du quartier à l’époque où Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, l’illustre couple, y trônaient.

D’ailleurs, quand un ami se fait éconduire par sa blonde, pour m’assurer qu’il ne décompense pas à l’idée que le congédiement serait dû à son physique, je lui rappelle l’histoire amoureuse de ce duo, où une superbe femme comme de Beauvoir a aimé une tête de creton comme Sartre.

En passant, je me suis souvent demandé si ces deux-là prenaient parfois un répit avec la philosophie de l’existentialisme, le samedi matin, pour aller faire des petites commissions au Canadian Tire.

Mais curieux pays que la France tout de même, où on remet toujours en question l’économie libérale, actuellement par l’entremise de La France insoumise, une gauche débile qui aurait fait passer François Mitterand pour un petit banquier de province.

Où être intellectuel est un métier reconnu. Houuuuuu ! M. Legault, des intellectuels ! Qui réfléchissent quotidiennement au « sort humain », comme le disait si bien Flagosse Berrichon, dans Rue des pignons.

Où la culture et le beau sont royalement valorisés, et les écrivains, princes des lieux, déifiés. Le tout formant un pan substantiel de l’économie.

Où la dette publique est si monstrueuse qu’elle fait passer Justin Trudeau pour Harpagon, l’Avare de Molière.

Et où l’utilisation de trop d’anglicismes dans les vecteurs médiatiques fait pitié, et nous désole de cette dite mère patrie.

Mais ultimement on y parle français, et ça me fait du bien à l’âme, comme quand je visite mes amis belges et jurassiens.

Côté anglo-saxon, Marie-France Bazzo a écrit dans ces pages dernièrement qu’elle était, comme Serge Bouchard, persuadée que nous sommes intimement plus nord-américains que français⁠1.

Je suis assez d’accord avec cette hypothèse.

D’ailleurs, j’ai été absolument médusé à mon premier voyage à Londres de m’y sentir tellement à l’aise. Oui, ça va, les Beatles, Pink Floyd et tous ces génies du rock, mais ce n’était pas suffisant comme explication.

J’en ai conclu, après quelques jours, que ce confort émanait de ma demi-cervelle anglo-saxonne nord-américaine. Bon, la Société Saint-Jean-Baptiste, là, on se calme, je ne suis pas un traître à la nation pour autant !

Médisance : vous savez ce que l’ancien président français Jacques Chirac a déjà dit de la cuisine britannique ? « La cuisine anglaise, au début, on croit que c’est de la merde et après, on regrette que ça n’en soit pas⁠2. »

Oh Lord ! Horribilis !

PHOTO CHANDAN KHANNA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Entraînement à l’utilisation de fusils semi-automatiques à Jackson, au Mississippi

Mais malgré mon aisance générale aux USA, mes blocages surviennent généralement de ce côté orgiaque, en tout, et de cette violence latente. Particulièrement ces gueules de confédérés, qui s’en tapent de l’avenir de la planète comme de leur beauf démocrate, au volant de pick-up mammouths, étincelants d’Armor All, qui ne rouleront jamais un seul kilomètre de brousse avec la maudite bagnole.

Cela écrit, j’avoue candidement que je profite ben en masse de l’orgie.

Encore récemment, j’étais au royaume de Mickey pour faire plaisir à deux jeunes femmes de ma vie. Et je ne me priverai pas d’assister à ces rencontres de sport professionnel, lieux de rumbas et de débordements par excellence.

Finalement, notre privilège, c’est d’avoir le choix de syntoniser le canal qu’on veut, quand on le veut, et de les avoir à notre portée, le gaulois et l’anglo-saxon.

1. Lisez la chronique de Marie-France Bazzo : « Nous, Nord-Américains » 2. Lisez l’article de Voici : « Jacques Chirac : sa blague sur la cuisine anglaise qui a vexé Tony Blair »

Entre nous

Autrement, pour résumer ma trop fréquente répugnance des États-Unis, la publicité suivante, aperçue à moult reprises dernièrement à Orlando :

SHOOT REAL

MACHINE GUNS !

FUN FOR THE ENTIRE FAMILY !

MACHINE GUN AMERICA

STARTING AT $24,99 PER PERSON

Super pour la semaine de relâche des enfants…