D’aussi loin que je me souvienne, j’aime les États-Unis. Old Orchard enfant, NYC à 16 ans la première fois, l’Ouest dans la vingtaine. Depuis, je les fréquente assidûment, y accumule les kilomètres de road trips. Un samedi ensoleillé ? Go Burlington ! Manhattan en mai, ou Santa Fe, où je pourrais vivre. Rencontrer les Américains, partager des discussions étonnantes et sincères avec eux. Malgré que certains intellectuels québécois nous assomment de notre lien privilégié avec la France, je suis, comme Serge Bouchard, persuadée que nous sommes intimement plus nord-américains que français.

Nous avons parcouru ce continent, contribué à le renommer du nord au sud, nous partageons des connaissances avec les Premières Nations, sommes habités par ce souffle de liberté qui le traverse. Il y a de nous dans la géographie des États-Unis, dans la candeur, l’esprit d’aventure de ce pays. NOUS sommes nord-américains. Ce n’est pas par hasard qu’à quelques reprises dans son histoire, le Québec a voulu se rallier au voisin. Quelque chose nous relie. Le lien du territoire est aussi fort que celui de la langue.

Mais dernièrement, pendant le mandat de Trump, puis avec l’attaque du Capitole (et bien sûr la pandémie), je me suis distancée.

Pas par principe moral : je sais très bien que toutes sortes de gens se côtoient aux États, que les extrêmes y sont depuis toujours, mais parce que quelque chose a changé. Les conversations sont âpres, les rencontres méfiantes. Cela a à voir avec l’insécurité. Celle, globale, diffuse, que vit un système que le monde entier tenait pour acquis et qui implose. Les États-Unis étaient les dépositaires, les garants de la démocratie, et leur melting-pot, le garant de l’intégration réussie. Ce pays était la bande-annonce du succès et tout cela semblait immuable.

Or, tout cela témoignait d’un aveuglement volontaire. La démocratie américaine coinçait. Elle a toujours été construite sur le racisme, la discrimination, la violence, les désirs brisés, les colères à peine enfouies, l’injustice de classe. Malgré la façade rutilante et la bonhomie attachante, les problèmes étaient inscrits dans la matrice. Avec l’élection de 2016, c’est comme si les apparences de solidité s’étaient disloquées. Trump a mis au jour ce qui était latent et qui ne semble plus pouvoir se réparer. Les camps sont maintenant violemment dressés les uns contre les autres.

L’insurrection du 6 janvier 2021, l’attaque récente contre Paul Pelosi, la tension hurlante qui émane de cette société ont fait le reste. Une étape supplémentaire se joue depuis mardi avec les élections de mi-mandat, qui sont en quelque sorte l’antichambre du retour des trumpistes. Le venin du désaccord et du délitement coule désormais dans le système américain. Quelque chose a été libéré et ne disparaîtra plus. Tout, désormais, oppose la gauche et l’extrême droite, les cadres ont explosé, les paramètres qui civilisaient traditionnellement les désaccords ont sauté. L’American Dream n’existe plus.

Ce qui arrive ces années-ci aux États-Unis, ce qui s’y passera ces prochains mois inquiète le monde entier, car c’est un modèle qui perd pied.

En Chine et en Russie, des despotes se marrent tranquillement en observant la déroute de la démocratie ultime.

Les États-Uniens ne sont toutefois pas les seuls citoyens à se distancier de la démocratie telle qu’on l’a fantasmée au XXe siècle. Ils ne sont ni plus tarés ni meilleurs que les autres. Mais il y a une conjoncture, une rencontre organique qui s’est produite entre une part d’entre eux, Trump, l’air du temps, la colère, les inégalités croissantes, pour le dire rapidement.

J’écrivais tantôt que nous sommes, Québécois et Canadiens, les frères de sol des Américains, que nous partageons une énergie, un territoire, même si notre histoire est différente à bien des égards. Ce sont pourtant ces ressemblances qui m’inquiètent un peu. Nous nous croyons protégés par notre système politique, par nos valeurs moins conservatrices, par notre filet social enviable. On se croit à part, en sécurité. Supérieurs. Le sommes-nous tant ?

Les systèmes politiques font une différence capitale. Mais les idées voyagent librement. Sommes-nous si inaltérables, si imperméables à la folie et à la haine qui agitent nos voisins en ce moment ? Remémorons-nous l’occupation d’Ottawa en janvier dernier, pensons à certaines idées libertariennes, constatons le fossé inhabituel pour nous qui s’est créé entre certains camps de la société québécoise dernièrement, songeons à la rage qui habite les réseaux sociaux. Sommes-nous si à l’abri de dérapages ?

Car nous sommes aussi nord-américains. Pour le meilleur, qui est un formidable vecteur de créativité, d’audace et de liberté. Pour le pire aussi, si nous n’y prenons garde…